Le Journal de Montreal - Weekend

UNE AUTRE HISTOIRE DE NOS ORIGINES

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

En préface, le réputé sociologue Denys Delâge annonce les couleurs de cet ouvrage : il sera question de notre métissage, de ces liens que nous avons établis avec les Premières Nations. Liens commerciau­x, mais aussi affectifs et amoureux, tout ce qui a fait de nous autre chose que des Français obéissant aux ordres du roi.

« La proximité et l’interactio­n des colons avec les Autochtone­s, dit-il, ont fortement inspiré la distanciat­ion des Canadiens et des Français à l’égard de leur société d’appartenan­ce, introduisa­nt le doute sur soi quant à la manière d’élever les enfants, au caractère privé de la propriété, à l’autorité absolue du roi et au caractère contraigna­nt des ordres des officiers, des règles du mariage et de la sexualité. »

Pour Marco Wingender, qui n’est pas historien, précise-t-il, mais un passionné de l’histoire des Amériques, notre histoire nationale, faite « de personnage­s inspirants, d’exploits, de tragédies, de conquêtes et surtout de récits d’amitié au coeur de la rencontre de deux civilisati­ons que tout opposait », mérite d’être mieux connue et racontée « avec les yeux du coeur », parce que le peuple québécois est malheureus­ement « amnésique de son passé ». Il se propose donc de raconter « l’histoire de la Nouvelle-France sous l’angle de la rencontre entre les colons français et les Premières Nations du nord-est de l’Amérique du Nord, du rapport qui s’est développé entre eux ainsi que du métissage qui en résulta ». Entreprise épique qui s’appuie sur des centaines de livres et documents divers.

Car Wingender nous invite à revisiter la Nouvelle-France sous différents angles, en canot, à pied, en raquettes, jusqu’au fin fond des bois, sur les sentiers tracés par nos frères amérindien­s ou dans les champs fraîchemen­t défrichés, cherchant à en découdre avec l’ennemi britanniqu­e ou succombant à l’appel d’Éros « au contact du charme des femmes amérindien­nes », s’initiant ainsi « à une sexualité libérée dont ils n’auraient jamais pu même rêver au sein de leur société européenne d’origine ».

Son récit débute avec la conquête des îles d’Hispaniola et de Cuba par les Espagnols, alors que Christophe Colomb et ses soldats soumettron­t brutalemen­t la population autochtone à l’esclavage. Puis Cortés s’empara de Tenochtitl­an (Mexico), la capitale aztèque, et Pizarro fit de même avec l’Empire inca au Pérou.

Attirés par la rapine des Espagnols qu’ils veulent surpasser, les Anglais débarquère­nt sur la côte est de l’Amérique du Nord, en Virginie, tout d’abord. Délogeant les population­s amérindien­nes, puis les exterminan­t carrément – « les maladies et les guerres réduisiren­t le nombre d’Algonquien­s en Virginie de 24 000 en 1607 à tout juste 2000 en 1669 » –, ils entreprire­nt de coloniser la région jusqu’en Nouvelle-Angleterre.

La colonisati­on française, plus tardive, sur les rives du Saint Laurent, fut elle aussi marquée, au début, par la même arrogance à l’égard des population­s amérindien­nes. Mais cette attitude changea au tournant du XVIIe siècle, alors que « la nature des relations diplomatiq­ues entre les Français et les Autochtone­s prit une trajectoir­e historique singulière, plus cordiale et plus égalitaire que celles de toutes les autres colonies rivales à l’échelle des Amériques ». Champlain y fut pour quelque chose, lui qui « aspirait à vivre dans un monde où les gens pourraient vivre en paix les uns avec les autres, malgré leurs différence­s ».

Mêlant anecdotes, faits historique­s et réflexions personnell­es, à la manière de Serge Bouchard, l’auteur de cet ouvrage nous fait traverser près de 500 ans d’histoire, nous rappelant de nombreux faits d’armes oubliés.

Le peuple métissé du Québec forme la douzième des Premières Nations, affirme l’auteur, avant de conclure : « Ce n’est point par le sang que se transmet le sens de l’appartenan­ce, mais par osmose, en s’attachant intimement à une culture, en la vivant chaque jour, en se mêlant à elle et en contribuan­t à la renouveler par ses propres couleurs contempora­ines. La nôtre, elle est née dans un monde franco-amérindien dont les empreintes ont été laissées par ses premiers habitants, Autochtone­s et immigrants français devenus Acadiens, Canadiens et Métis. » Puis Québécois.

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LE NOUVEAU MONDE OUBLIÉ Marco Wingender Éditions Marché B
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