Le Journal de Montreal - Weekend
UN AS DU VOLANT AÉRIEN
En voulez-vous des héros québécois ? En voilà un vrai, qui n’est pas connu et que Hélène de Billy nous fait découvrir dans un récit haletant qui prend ici et là des allures autobiographiques pour notre plus grand plaisir. Roger Coulombe qu’il s’appelle, un petit gars de Montmagny qui fut pilote de guerre lors de la Deuxième Guerre mondiale. Un bel alliage de fougue, de passion et d’arrogance.
Aux commandes de son avion, un bombardier Lancaster DS707 P, « le plus gros des bombardiers géants, le plus beau, le plus parfait », il a bombardé Berlin de nuit à 12 reprises, esquivant presque chaque fois les tirs ennemis. D’où son surnom : Berlin Kid. Ce type était un gagnant, nous dit HDB, un dur à cuire au coeur tendre. Un vrai rebelle comme on les aime, qui n’est pas né pour cirer les bottes de ses supérieurs.
À 20 ans, en 1943, ce jeune homme « fier d’appartenir au peuple qui a donné au monde des héros comme le soldat explorateur Pierre Le Moyne d’Iberville ou encore le compositeur de la musique du Ô Canada, Calixa Lavallée, qui a combattu avec l’armée nordiste pendant la guerre de Sécession aux États-Unis (il a terminé la guerre avec le grade de lieutenant) », se porte volontaire dans l’Aviation royale canadienne (ARC) pour combattre les nazis. Aussi parce qu’il aime « le vol, l’aventure et l’imprévu », comme il l’avouera à un journaliste en 2005. Deux pilotes sur trois ne revenaient jamais de leur mission. « Des morts en sursis… »
Mais Coulombe, lui, est un battant et il le prouvera. Il réussira le tour de force de ramener en Angleterre son avion troué comme une passoire par des obus d’un Junkers allemand lancé à sa poursuite. Avec son train d’atterrissage bloqué, un pneu crevé, les communications radio coupées, un des moteurs hors service tout comme le système hydraulique, et les réservoirs à sec, il réussit, après quatre heures de vol dans de telles conditions, à poser son épave avec son unique roue sur une piste d’atterrissage apparue au dernier moment. Ce jour-là, pour échapper à ceux qui le pourchassaient au-dessus de Berlin, notre sympathique casse-cou avait dû effectuer une manoeuvre périlleuse : une plongée « de cinq cents mètres avec une inclinaison de quarante-cinq degrés, les moteurs à fond ». Tout cela à 450 milles à l’heure, avec six coéquipiers à bord, au milieu des faisceaux lumineux des projecteurs ennemis qui balayaient le ciel pour le repérer. De la haute voltige.
NERFS D’ACIER
Il avait été décoré sur-le-champ. Dans son journal intime, le Kid écrira : « Nous pensions tous que nos jours étaient finis là. » Il faut dire qu’il avait déjà réussi un tel tour de force d’atterrir sur une seule roue lors de son premier vol d’exercice sur un Lancaster, désobéissant aux ordres de ses supérieurs d’atterrir plutôt sur le ventre de l’appareil. C’est le commandant Piché qui serait fier de lui s’il l’avait connu dans une autre vie.
Curieux destin, tout de même. Le pilote aux nerfs d’acier, issu d’une famille nombreuse au fin fond d’un rang de campagne, mais qui refuse d’être né pour un p’tit pain, cet Antoine de Saint-Exupéry canadien-français qui sera le premier capitaine d’un avion à qui on attribuera le mérite d’avoir brisé le Reich allemand, deviendra, après la guerre, dentiste, diplômé de l’École de chirurgie dentaire de l’Université de Montréal, 10 ans après avoir été formé à l’École d’aviation de Saint-Hubert, en banlieue de Montréal. Un dur de dur sensible à la douleur d’autrui : à peine gradué, on le retrouve parmi une mission humanitaire organisée par la Croix-Rouge en Abitibi.
Tous ces détails, on les trouve consignés dans le journal intime que Roger Coulombe a tenu durant les trois ans qu’il a exercé comme pilote de guerre au service des « maudits Anglais », selon ses propres termes. « Maudite Angleterre ! écrit-il lorsqu’il apprend la mort de son frère, dont l’avion a été abattu au-dessus de l’Allemagne nazie. On nous demande sacrifice après sacrifice, on réclame notre sang, mais on ne donne rien en retour. »