Le Journal de Montreal - Weekend
ÉCRIRE L’HUMANITÉ DES MARGINAUX
Aborder nos relations avec les premiers peuples, parler des marginaux et leur redonner leurs lettres de noblesse en insistant sur leur humanité et leur grande sensibilité : voilà ce que Lucie Lachapelle avait en tête en écrivant Va me chercher Baby Doll. Une histoire unique de road trip à travers le Canada, comme une ode au Nord, aux grands espaces et aux rencontres qui transforment.
Beaucoup de ce que Lucie Lachapelle a accompli dans sa vie prend sa source dans ce voyage qu’elle a fait au Nunavik à l’âge de 18 ans. « Ce voyage a pas mal orienté le cours de ma vie », explique celle qui avait alors passé tout un été dans la baie d’Ungava.
Si elle a eu envie de retourner dans le Nord — pour enseigner pendant une année, puis pour tourner un film documentaire — c’est que l’espace, les paysages, la lumière et les gens ont su charmer l’étudiante en cinéma et communications qu’elle était. Depuis l’Abitibi, où elle a fait de la radio communautaire « et rencontré un Cri métis qui allait devenir son conjoint pendant 22 ans », et le Nord, la future auteure a fait de nombreuses visites dans différentes communautés.
Des rencontres qui allaient nourrir son premier documentaire intitulé La rencontre (1990) portant sur les relations entre les Québécois et les gens des Premières Nations, puis ses romans à venir.
« J’ai beaucoup puisé de mes expériences dans le Nord, de mes rencontres, pour écrire mes romans, explique l’auteure de 65 ans. Je suis une personne extrêmement sensible et émotive, j’ai toujours aimé regarder le monde. Le métier de cinéaste, mais aussi d’écrivaine, va bien avec cette partie de moi. C’est une force que j’ai, d’avoir emmagasiné beaucoup d’images et d’impressions. »
« L’écriture m’apporte l’aspect de liberté de dire, l’espace ainsi que la profondeur », poursuit celle qui a remporté le prix France-Québec pour son premier roman, Rivière Mékiskan (2011).
UN VOYAGE INTÉRIEUR
Sur fond de musique folk, c’est l’histoire de Cartouche (la vive et explosive Florence) dans laquelle on plonge avec Va me chercher Baby Doll. Récemment sortie de prison après avoir été incarcérée pour le meurtre d’un ivrogne agressant une jeune femme innue, elle vit dans un camp en forêt en Abitibi, à l’extérieur du monde, lorsqu’elle reçoit une demande de son amie Manouche (Thérèse) une ex-prostituée et une grande amie rencontrée en prison : partir à la recherche de sa fille de 18 ans Baby Doll, en fugue et faisant partie d’un réseau de prostitution.
« Lors de ce voyage sur les routes hypnotiques du nord du pays, Cartouche va faire des rencontres, mais aussi un voyage intérieur, une quête personnelle, dit l’auteure montréalaise. Elle va toucher sa part d’ombre en revisitant son enfance, son passé et ce geste l’ayant menée en prison, jusqu’à faire la paix avec elle-même en retrouvant son humanité. »
À travers ce délicieux personnage d’une femme blanche rêvant être issue des Premières nations, l’auteure a eu envie d’explorer la violence au féminin. De parler de désir de liberté sans compromis aussi, et d’espoir de rédemption.
Si cette route truffée d’arrêts dans de petits bars glauques et des motels de bord route mène aussi à la rencontre de Dan et d’Amanda — deux personnages issus des Premières Nations —, c’est qu’il ne pouvait en être autrement pour l’une des écrivaines pionnières d’une littérature québécoise mettant de l’avant les communautés et les valeurs autochtones.
« Cela fait partie de ma vie et est devenu l’un de mes sujets de prédilection. Au début, écrire sur les Premières Nations me faisait me questionner sur la légitimité, puis j’ai trouvé que l’indifférence ambiante était aussi une forme de violence. Le personnage d’Amanda est d’ailleurs un personnage qui s’en sort, qui reflète la résilience des femmes autochtones, leur grand courage et leur grande force, tout cela aidé par des communautés solides qui se tiennent. »