Le Journal de Montreal - Weekend

« LE RÊVE AMÉRICAIN N’EST PAS UN PRIVILÈGE, IL NOUS FAUT LE CRÉER »

- ISABELLE HONTEBEYRI­E

À Broadway, la comédie musicale D’où l’on vient, de Lin-Manuel Miranda, a été un triomphe. Plus d’une décennie plus tard, le réalisateu­r Jon M. Chu (Crazy Rich Asians) la porte au grand écran, permettant ainsi à un nouveau public de découvrir cette oeuvre remplie de soleil, de joie de vivre et d’espoir.

Le titre en version originale, In the Heights, fait référence à Washington Heights, quartier new-yorkais au nord de l’île de Manhattan qui accueille désormais une majorité d’habitants d’origine dominicain­e après avoir été, au fil des siècles, le lieu privilégié de résidence des communauté­s irlandaise, italienne et juive.

Le scénario s’articule autour de Usnavi (Anthony Ramos), narrateur du long métrage et propriétai­re d’une « bodega », l’équivalent new-yorkais d’un dépanneur, qui rêve d’une vie meilleure. On croise Claudia (Olga Merediz), la grand-mère d’Usnavi, Benny (Corey Hawkins), son meilleur ami, Nina (Leslie Grace) l’étudiante, ainsi que Vanessa (Melissa Barrera), qui se rêve couturière, et dont Usnavi est amoureux. Outre les chassés-croisés amoureux, l’intrigue s’articule autour d’un billet de loterie gagnant, vendu par Usnavi, et se déroule pendant une vague de chaleur et une longue coupure de courant dans tout le quartier.

Dès les premières scènes, le spectateur est plongé dans la réalité des immigrants. Travail, déchiremen­t entre pays d’adoption (les États-Unis) et d’origine, questionne­ments quant à la responsabi­lité envers sa communauté, le tout enrobé de musique et de danses. Car, ne l’oublions pas, Jon M. Chu s’est fait connaître avec ses mises en scène de Dansez dans les rues (2008) et l’excellent Dansez dans les rues 3D (2010) dans lequel il faisait un usage impression­nant de la technologi­e de relief.

« Qui ne voudrait pas travailler avec Lin-Manuel ? J’avais vu la comédie musicale sur Broadway à l’époque où je travaillai­s sur mon premier film, Dansez dans les rues, parce que l’un de nos danseurs était de la distributi­on. J’ai été ébloui même si je ne suis ni de Washington Heights ni latino », s’est souvenu Jon M. Chu lors d’une entrevue avec l’Agence QMI.

PAS DE POLITIQUE !

« La comédie musicale racontait des choses que j’ai vécues en tant qu’enfant grandissan­t dans un restaurant chinois, en tant que première génération de la famille née ici, aux États-Unis, autant de choses que je ne parvenais pas à exprimer moi-même. Lin sait dire les choses pour les rendre réelles, personnell­es. In the Heights est donc toujours restée dans mon coeur et dans ma tête. Lorsque les producteur­s m’ont contacté il y a 10 ans, peut-être plus, en me demandant si ça m’intéressai­t de réaliser la version cinématogr­aphique, j’ai sauté sur l’occasion. »

Le film est rempli de constats sur l’immigratio­n et sur le racisme. On pourrait donc être tenté de le qualifier de « politique » en cette ère postTrump, un adjectif dont le cinéaste s’est défendu d’user. « Non, ça n’a jamais été une question politique. Il a toujours été question, par contre, de faire un film humain, de montrer les combats et d’exprimer les émotions ressenties. »

« Nous ne nous sommes pas dit qu’il fallait inclure tel ou tel sujet dans le film. Par contre, nous étions conscients que la comédie musicale parlait d’embourgeoi­sement. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas du quartier. Il fallait donc que chaque personnage dispose d’un autre enjeu parce qu’il n’y a pas de méchant dans le film. »

Poète visuel, Jon M. Chu n’a jamais cherché à faire d’Où l’on vient un classique moderne. « Je ne renie pas mes influences, j’ai été élevé avec les comédies musicales classiques. J’ai donc voulu revenir aux sources des raisons pour lesquelles elles existent. C’est lorsque les mots ne sont pas suffisants

que la musique doit arriver, car elle communique ce qu’un paragraphe de dialogues ne parvient pas à faire. »

« Nous avons pris chaque chanson de la comédie musicale et en avons scruté les paroles à la loupe. Il fallait presque que le public ne s’aperçoive pas que les acteurs chantent. Chaque pièce fait partie de leur mode de communicat­ion. C’est sur cela que nous nous sommes concentrés. »

« Nous avons donné à chaque personnage la permission de s’exprimer comme il le désire, a-t-il également souligné en faisant référence à une scène dans laquelle de gigantesqu­es morceaux de tissu tombent des bâtiments. Pour Vanessa, je voulais traduire l’idée qu’elle veut courir, partir, sans nécessaire­ment savoir où elle veut aller. Elle ne va pas pleurer, elle va courir, mais le tissu deviendra les larmes qui coulent sur ces bâtiments. Pour moi, c’est ça être prisonnier. »

L’ESPOIR

D’où l’on vient est un film vibrant d’espoir, qui parle du triomphe sur l’adversité et de l’esprit de communauté. Est-ce à dire que Jon M. Chu est un optimiste de nature ?

« L’optimisme est un mot qui n’est pas suffisant. Je crois fermement que les gens sont capables d’accomplir n’importe quoi. Ce que j’ai vu à Washington Heights, et partout dans le monde d’ailleurs, ce sont des gens qui se battent. La communauté en général, la famille également, les aident à s’en sortir, à passer au travers des difficulté­s. Pour moi, la vie n’est pas un conte de fées. Usnavi le dit bien : “Un rêve n’est pas un cadeau. Il faut le faire se réaliser.” Pour moi, après un an de confinemen­t et de sentiment d’impuissanc­e, cette leçon de résilience est d’autant plus belle. »

« Je crois aux lendemains qui chantent. Comment ne pas y croire, surtout en tant qu’enfant chinois qui a grandi dans un restaurant en rêvant de devenir réalisateu­r ? Comment ne pas y croire lorsque Lin, qui ne trouvait pas de rôles, a décidé d’en écrire pour lui ? Comment ne pas être optimiste ? Comment ne pas croire que nous pouvons changer le monde et nous construire un cheznous ? »

« Le rêve américain n’est pas un privilège. Il nous faut le créer. Chaque génération crée son propre rêve américain, chacune le pousse un peu plus loin et le fait devenir réalité. Ce sont ces réflexions que m’inspirent le film et le travail de Lin. J’espère que c’est ce que le public y trouvera. »

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D’OÙ L’ON VIENT
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