Le Journal de Montreal - Weekend
DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES BIEN RÉELS
Dans une préface qu’on dirait écrite avec des gants blancs, comme pour ne froisser personne, Danièle Bélanger, titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales, hésite à nommer le mal qui ronge l’Amérique latine, et plus particulièrement le « couloir de la sécheresse » : Guatemala, Salvador, Honduras. Pourtant ce mal a déjà été nommé et dénoncé, surtout depuis la publication, en 1971, de l’oeuvre magistrale de l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine. Il a pour nom capitalisme sauvage, précédé de 400 ans de colonialisme sans pitié, de pillage, de saccage et d’esclavagisme.
L’auteur de ces reportages, Guy Taillefer, l’a vu de près, ce drame. Il n’hésite pas à parler de saccage et à pointer le néolibéralisme, un modèle de développement « qui est par nature un instrument de spoliation. […] Il procède d’une mécanique capitaliste qui, pour se perpétuer, exige de chasser les gens de leurs terres ». Ce sont aussi les mots du père jésuite Verzeletti, activiste et directeur à San Salvador de l’une des Casas del Migrante Scalabrini, un réseau jésuite de centres d’aide aux migrants.
« Il dit, non, hurle que l’industrie de l’armement, l’industrie “agrotoxique” et le fondamentalisme religieux sont les trois agents de cette exploitation... Et que les pansements ne suffiront pas. »
Voilà qui est bien dit. Ces pansements, ce sont les programmes onusiens qui ne servent qu’à masquer les causes de cette catastrophe, à taire les noms des responsables, à retarder l’application de solutions durables. Et ces solutions durables ne seront pas possibles « sans grands bouleversements structurels », ajoute le père jésuite.
UN MÉLANGE EXPLOSIF
En résumé, toujours moins de pluie et toujours plus de chaleur. Ce mélange explosif, qui a pour nom réchauffement climatique, conduit inévitablement à la sécheresse. Perte de récoltes. La terre ne fait plus vivre ceux qui la labourent. Elle ne les nourrit plus et les condamne à la pauvreté. Parlons-en, de la pauvreté dans ce triangle de la sécheresse : « Taux de pauvreté rurale au Guatemala : 77 %. Au Salvador : plus de 49 %. Au Honduras : 82 % ! »
La première solution envisagée face à un phénomène qui semble incontrôlable, c’est d’émigrer là où l’on pourra vivre décemment à nouveau.
Près de trente millions de personnes, provenant du sud, pourraient d’ici 30 ans migrer vers les États-Unis. Un processus essentiellement rural qui viendra bouleverser les structures des villes qui les accueilleront.
Bien sûr, des voix s’élèvent pour dénoncer la corruption, la mal-gouvernance, la privatisation des services publics, comme l’eau, par exemple, mais ces voix dissonantes sont constamment menacées, et très souvent réduites au silence.
Misère économique ne signifie cependant pas misérabilisme, nous dit Taillefer. Ces gens rêvent, comme vous et moi, d’un avenir meilleur pour eux et leurs familles. Et cet avenir meilleur passe désormais par l’immigration vers le nord, car il n’y a pas d’avenir dans leur pays, triste constat qui se répète de villes en villages par où sont passés les deux reporters. Il suffit qu’un membre de la famille réussisse à traverser la frontière des États-Unis, à grands risques, pour que quelques mois plus tard le sort de ceux qui sont demeurés sur place s’améliore sensiblement, grâce aux remesas, ces sommes d’argent que les immigrants envoient à leurs familles.
Mais tous les aspirants à une vie meilleure ne réussissent pas à réaliser leur rêve. Ainsi « 851 500 clandestins ont été interceptés à la frontière du Mexique et des États-Unis au cours de l’année financière qui s’est terminée le 1er octobre 2019 », dont de nombreux mineurs. Chiffre effarant.
Avec ses photos verdoyantes malgré la sécheresse galopante, sa galerie de personnages sympathiques, sa condamnation sans équivoque des gouvernements corrompus, voici un ouvrage – à peine 100 pages – que je recommande à tous les climatosceptiques.