Le Journal de Montreal - Weekend
DE QUEL CÔTÉ LA RÉALITÉ ?
Daniel Leblanc-Poirier joue sur un registre vraiment particulier : des pointes de bizarrerie dans l’ordinaire des jours. Où mènera l’inexplicable ?
Pour Robert Laramée, ce sont les coups insistants frappés à sa porte en pleine nuit qui seront d’abord troublants. Ça lui arrive à la toute première page du roman.
Mais il n’y a personne, pas même de traces de pas dans la neige quand il se lève pour aller voir. Eh bien, se dit-on, il aura rêvé.
C’est quelques pages plus loin que notre malaise à nous s’installera.
C’est encore la nuit. Laramée est couché, mais le sommeil ne vient pas. Étant, comme il le dit « de ceux qui acceptent l’insomnie », il finit par retourner au salon. Un verre d’eau est apparu sur la table basse : « un glaçon frais flottait dedans ». Et il y a cette odeur… Allô, y’a quelqu’un ?
Les portes de l’appartement sont pourtant verrouillées. Laramée fouillera tous les recoins de son logis, en vain.
Et puis la vie va continuer. Avec d’autres incongruités.
DU CÔTÉ DU TROUBLANT
La disparition des miroirs, deuxième roman de Daniel Leblanc-Poirier, n’est pas pour autant une histoire de peur. Et s’il flirte avec le fantastique, il n’y plonge pas vraiment. Reste juste du côté du troublant. Mais l’auteur sait installer un climat déstabilisant : faut-il vraiment croire ce que son Laramée raconte ?
L’homme est musicien, a même été vedette, et on se retourne encore sur son passage. Mais en panne d’inspiration, il se contente dorénavant de vivre de ses redevances.
Son gérant voudrait qu’il se secoue pour relancer sa carrière. Laramée résiste, puis y voit l’occasion d’un grand virage, pourquoi pas vers le rap ? Le gérant, étrangement prénommé Géatan, soupire d’exaspération.
Un autre homme rôde toutefois dans les parages et il presse Laramée de passer sous son aile. Mais que d’événements tragiques surgissent dans son sillage…
Dès lors, ce qui frappe, c’est à quel point Laramée n’a personne à qui se confier. La vedette vit seule, n’a pas d’ami, d’amoureuse ou de maîtresse pour remplir les jours. Pas de famille non plus, si ce n’est un jeune frère de 16 ans dont il pourrait être le père alors qu’il le traite comme un copain.
Ces rapports-là aux autres, si restreints, accentuent les tournants insolites du récit. À qui donc se fier ?
LES TOURMENTS DE LA CRÉATION
Parallèlement, Leblanc-Poirier, qui est aussi poète et musicien, rend bien les tourments de la création, surtout quand un artiste a connu de grands succès et qu’il n’a pas envie de se répéter.
Il relate comment on peut gratter longtemps sa guitare et puis abandonner la mélodie qui en sort ; à l’inverse, comment un jour une chanson s’impose. Vite l’enregistrer sur le magnéto avant qu’elle ne s’échappe ! Il y a aussi du mystère là-dedans.
Or quand l’inspiration revient, le reste se déglingue sérieusement. Dans quel monde Laramée est-il en train de s’enfoncer ?
La maléfique finale laisse pantois. De quoi prolonger dans nos têtes le récit, aussi court qu’intrigant.