Le Journal de Montreal - Weekend

SEULE DEVANT LA LOI DES HOMMES

- ISABELLE HONTEBEYRI­E

Anne (Anamaria Vartolomei, lumineuse, en un mot parfaite), étudiante de 23 ans, souhaite se faire avorter en France à une époque où la procédure n’est pas encore légale.

Elle fait des études de lettres, est excellente élève, veut devenir prof. Mais voilà, elle « attrape » « le genre de maladie qui ne frappe que les femmes et qui les transforme en femmes au foyer », explique-t-elle à son professeur (Pio Marmaï). Elle ne veut pas de l’enfant, pas maintenant.

Mais nous sommes en 1963. Alors, lorsqu’elle va chez le médecin (Fabrizio Rongione), il lui suggère d’« accepter ». Car la loi est sans appel : c’est la prison, tant pour la femme que pour toute personne qui l’a aidée. Anne tente, sans succès, de trouver un docteur, demande à ses ami.e.s. « Sois raisonnabl­e », se fait-elle répondre.

Les hommes. Son amant (Julien Frison) qui lui reproche de ne pas avoir trouvé quelqu’un pour s’occuper de sa situation. Ou cet autre (Kacey Mottet Klein) qui lui donne, comme argument pour coucher avec lui, qu’elle ne craint plus rien puisqu’elle est déjà enceinte. Et sa mère (Sandrine Bonnaire) à qui elle ne peut rien dire.

UN MOT TABOU

Son corps ne lui appartient pas. La société s’attend à ce qu’elle profite de son passage à l’université pour se trouver un mari, la société exige qu’elle ne couche avec personne. Et si l’envie devait l’en prendre, elle est moralement perdue.

Alors, elle essaie toute seule. Avec une longue aiguille. Elle trouve enfin une femme (Anna Mouglalis) qui pratique la procédure dont elle a tant besoin – le mot « avortement » n’est jamais prononcé dans le film –, mais même là, elle n’est pas sortie d’affaires, car les complicati­ons sont fréquentes.

Avec une rare économie de mouvements et de mots, à l’instar du roman autobiogra­phique d’Annie Ernaux, la cinéaste Audrey Diwan montre tous les détails. Crus. Sans épanchemen­t, sans attendriss­ement ou larmoiemen­t inutile.

Brillammen­t servi par la musique d’Evgueni et Sacha Galperine ainsi que par la direction de la photograph­ie de Laurent Tangy, le film, gagnant du Lion d’or à Venise, rappelle un temps pas si éloigné, des lois qui existent encore pas si loin de chez nous, et un droit de libre dispositio­n de son corps remis en question à chaque occasion.

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