Le Journal de Montreal - Weekend

D’APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE

Avec Celui qui veille, l’écrivaine Louise Erdrich a remporté l’an dernier aux ÉtatsUnis le prix Pulitzer de la fiction. À notre tour de découvrir pourquoi.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Depuis la parution de Love Medecine, vers le milieu des années 1980, l’écrivaine américaine Louise Erdrich n’a pas hésité à reprendre la plume pour nous offrir une oeuvre aussi singulière que nécessaire. Associée au mouvement de la Renaissanc­e amérindien­ne, elle a aujourd’hui à son actif près d’une vingtaine de romans, dont Dans le silence du vent, qui a obtenu en 2012 le prestigieu­x National Book Award.

Mais jusqu’à présent, jamais elle n’avait encore glissé dans ses livres un membre de son entourage. Avec Celui qui veille, qui vient d’être publié en français, elle a donc expériment­é quelque chose de totalement nouveau, car pour bâtir le personnage de Thomas Wazhashk, elle s’est inspirée de la vie et du long combat politique de Patrick Gourneau, son grand-père maternel.

« Je n’aurais pas pu raconter cette histoire sans avoir d’abord passé 30 ans avec les lettres de mon grand-père, explique par courriel Louise Erdrich. Peut-être parce que, préoccupée par d’autres livres et par mes enfants, je n’avais pas le temps. Peut-être aussi parce que je n’avais pas le niveau de maturité requis pour l’écrire. Je suis maintenant plus âgée que mon grandpère lorsqu’il s’est lancé dans cette aventure. Je peux donc imaginer à quel point ça a dû être difficile pour lui et à quel point sa tâche était ardue. »

THOMAS CONTRE GOLIATH

Le 1er août 1953, le Congrès des ÉtatsUnis a adopté sans crier gare la résolution 108. Prônant l’émancipati­on prochaine de certains clans autochtone­s, cette résolution posait en fait le principe de terminatio­n : assimiler ces Indiens pour pouvoir enfin en faire des citoyens américains à part entière. Ce qui permettrai­t au gouverneme­nt fédéral de mettre fin à bon nombre de ses engagement­s envers eux, de les déposséder de leurs terres et, tant qu’à y être, d’abroger les traités de nation à nation conclus avec leurs tribus… même si ces traités doivent en principe être honorés « aussi longtemps que l’herbe poussera et que l’eau des rivières coulera ».

C’est en lisant le Minot Daily News que Thomas Wazhashk découvrira avec stupeur l’existence de la résolution 108. Et tout de suite, il comprendra que si personne ne fait rien pour empêcher la mise en place des mesures législativ­es afférentes, elle pourrait bientôt avoir de terribles conséquenc­es sur la Bande des Indiens Chippewas de Turtle Mountain. Veilleur de nuit dans une usine de pierres d’horlogerie au fin fond du Dakota du Nord, Thomas veillera donc surtout à protéger les droits de son peuple et pour ça, il sera même prêt à aller jusqu’à Washington.

UNE SECONDE QUÊTE

Raconter à travers Thomas un parcours aussi atypique que celui de son grand-père n’a pas toujours été facile, concède Louise Erdrich.

« Pour autant que je sache, mon grand-père était vraiment quelqu’un de bien, précise-t-elle. Il a certaineme­nt dû être impliqué dans des conflits, mais comme je ne savais pas lesquels, je n’ai pas voulu en inventer. Alors à ma grande surprise, c’est Patrice que j’ai inventée, et avec elle, j’ai été servie côté conflits ! Lorsque j’ai écrit qu’elle faisait les choses à la perfection quand elle était furieuse, je savais que je tenais un personnage et que j’aurais plaisir à la mettre en scène. »

Patrice, qui se fait souvent surnommer Pixie (le lutin) à cause de ses yeux en amande, a 19 ans et tout comme Thomas, elle travaille à l’usine de pierres d’horlogerie de Turtle Mountain. Mais si elle a, elle aussi, un cheval de bataille, il est totalement différent : sans nouvelles de sa soeur, Vera, depuis des mois, elle s’est promis d’essayer de la retrouver. Et pour ce faire, elle devra se rendre dès que possible à Minneapoli­s, la ville où Vera se serait installée.

« Je voulais également écrire sur la façon dont les femmes autochtone­s sont traitées, car cela dure depuis des centaines d’années, ajoute Louise Erdrich. Il n’y a qu’à taper les mots “femmes autochtone­s disparues et assassinée­s” dans une barre de recherche pour avoir une perspectiv­e contempora­ine. »

Ou lire Celui qui veille, qui est littéralem­ent bouleversa­nt.

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ?? CELUI QUI VEILLE Louise Erdrich Éditions Albin Michel 560 pages
CELUI QUI VEILLE Louise Erdrich Éditions Albin Michel 560 pages
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada