Le Journal de Montreal - Weekend

LE POUVOIR VU PAR LA BD

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ANGOULÊME, France | (AFP) Une bande dessinée sur la politique est-elle un moyen d’exercer un contre-pouvoir, ou un simple divertisse­ment ? En pleine campagne présidenti­elle française, le Festival d’Angoulême s’est posé la question. Réponse : idéalement, les deux.

Nombre de titres sont parus ou vont paraître autour de cette élection, tantôt des fictions qui illustrent ses thèmes, tantôt des mises en scène d’un monde politique qui s’ouvre de plus en plus au neuvième art.

Pour lancer la maison d’édition de bande dessinée de son frère Mourad, Farid Boudjellal a par exemple imaginé, dans ÉlyZée, Éric Zemmour élu chef de l’État.

La critique de l’extrême droite est aussi le sujet d’Aux portes du palais ,par Hervé Bourhis et la rédaction de Médiapart (édition La Revue dessinée).

Les journalist­es du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, avec Pierre Van Hove au dessin, ont publié début mars L’Obsession du pouvoir (éditions Delcourt), sur les trois derniers présidents en date, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron.

« MOINS CRITIQUE »

Ce que ces journalist­es voient de cette campagne 2022, après avoir eu un accès très privilégié à François Hollande, les inquiète. Le favori de cette élection, Emmanuel Macron, garde plus près de lui un dessinateu­r de BD, Mathieu Sapin, que les journalist­es.

« En tant que journalist­e, je me sens non pas offensé, mais mis à l’écart », a souligné Gérard Davet lors d’une conférence samedi dernier à Angoulême. « Il ouvre ses portes à Mathieu Sapin, qui m’est extrêmemen­t sympathiqu­e, qui pose un regard ironique, toujours drolatique sur le monde politique, mais bienveilla­nt, moins critique. »

« Ça renvoie une image terrible dans l’opinion publique, montrant qu’on n’a pas besoin des journalist­es », a abondé Fabrice Lhomme.

Mathieu Sapin est devenu un habitué des arcanes de l’Élysée depuis le quinquenna­t Hollande. Il a lancé un collectif d’auteurs de BD sur les traces des candidats à la présidenti­elle. Lui-même suit M. Macron, en vue de publier avec cinq autres auteurs Carnets de campagne (Dargaud/Seuil) en mai, après l’élection.

Lors d’une autre conférence le même après-midi à Angoulême, cette star de la BD a admis que l’exercice suivait des contrainte­s et des objectifs différents de la couverture médiatique.

« Si j’étais détenteur d’un scoop incroyable qui peut changer le cours de l’élection, je me demanderai­s quoi en faire », a-t-il par exemple avancé.

Il a un accès privilégié pour cette raison justement.

« Le contrat moral, c’est que comme le bouquin sort juste après l’élection, les équipes de campagne nous laissent voir pas mal de choses. »

« MISSION CITOYENNE »

Être au plus près, pourtant, n’est peut-être pas le meilleur poste d’observatio­n. Le dessinateu­r prenait l’exemple d’un voyage à La Réunion, fin 2019, où il avait côtoyé la délégation présidenti­elle, comme rêveraient de le faire les journalist­es.

« C’est le syndrome de la VIP Room : souvent, quand tu arrives à y entrer, c’est un peu décevant, a-t-il plaisanté. Tu es très préservé, tu voyages entre gens de bonne compagnie, tu manges bien... Tu ne vois pas vraiment ce qui se passe. Tu perds le contact. »

Ainsi le dessinateu­r Hervé Bourhis préfère-t-il éviter de rencontrer les responsabl­es politiques. « Je ne veux pas être influencé », a-t-il affirmé lors de la même rencontre à Angoulême.

Pour lui, illustrer des enquêtes journalist­iques sur Marine Le Pen et Éric Zemmour, « c’était une mission citoyenne [...] Mon fils de 14 ans s’est jeté sur la bande dessinée alors qu’il n’aurait jamais lu un livre sur l’extrême droite. »

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Mathieu Sapin

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