Le Journal de Montreal - Weekend

UNE PEUR BÉNÉFIQUE

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Sommes-nous devenus à ce point si sûrs de nous que nous préférons nous faire croire que le danger de disparaîtr­e en tant que nation n’existe plus ? Pourtant, cette peur de disparaîtr­e a joué un rôle de moteur tout au long de notre histoire, elle a fondé nos principaux mythes, aux dires du jeune sociologue auteur de cet essai novateur.

« Ce ferment anxiogène est bien au contraire à l’origine de nos projets politiques les plus féconds. La mythologie politique de la vulnérabil­ité est le socle sur lequel s’est échafaudée notre aspiration à l’indépendan­ce, censée nous délivrer du péril de la dissolutio­n nationale. »

Ici, le mythe de la vulnérabil­ité rime avec le désir d’émancipati­on nationale et la soif d’indépendan­ce. S’il disparaît, c’est une partie de l’échafaudag­e qui risque de s’écrouler.

Mais comment en sommes-nous venus à nous croire désormais invulnérab­les, se demande l’auteur ?

Il faut d’abord remonter dans le temps, répond-il, pour retracer le moment fondateur du mythe de notre vulnérabil­ité, au moment de l’Acte d’Union, qui consacre la dilution du pouvoir de la majorité, précisémen­t « en 1840, lorsque le Canada français s’engage sur la voie de l’hiver de la survivance. La nation doit alors élaborer une manière nouvelle et féconde d’entrevoir l’avenir », quelques années après l’échec des Rébellions de 1837-1838 et la publicatio­n du rapport Durham, en 1839, qui prône rien de moins que l’assimilati­on des Canadiens français.

NOMBREUX DANGERS

Mais les Canadiens français refusent ce destin funeste et ils résisteron­t de différente­s manières. L’auteur en veut pour preuve l’appel de l’historien François– Xavier Garneau à se réfugier dans les traditions et l’héritage du passé plutôt que d’opter pour le modernisme anglais.

« Garneau, en quittant l’éloge de la modernité libérale pour le rude constat de la survivance, se fait le porte-parole paradoxal d’un certain conservati­sme. »

Devant l’effacement national proposé par Durham, les Canadiens français opposeront le conservati­sme et les traditions. Pour le meilleur et pour le pire, j’ajouterais.

La Confédérat­ion de 1867, la pendaison de Louis Riel et le refus d’écoles françaises au Nouveau-Brunswick représente­ront trois autres de ces dangers pour les Canadiens français.

Le journalist­e et futur premier ministre québécois, Honoré Mercier, « y voit la poursuite plus ou moins camouflée de l’Acte d’Union qui achève de minoriser les francophon­es dans une armature constituti­onnelle qu’ils ne contrôlent que partiellem­ent ». Alors qu’il est chef du Parti libéral – dans les faits, un Parti national –, son mot d’ordre, « nous unir ! » ne peut être plus explicite.

« Voilà vingt ans que je demande l’union de toutes les forces vives de la nation, clame-t-il dans une de ses envolées oratoires. Voilà vingt ans que je dis à mes frères de sacrifier, sur l’autel de la patrie en danger, les haines qui nous aveuglaien­t et les divisions qui nous tuaient. »

C’est ainsi que Mercier fera du Québec « un rempart à l’assimilati­on et à la minorisati­on que prescrit l’ordre politico-constituti­onnel canadien ».

LIONEL GROULX

Poursuivan­t sa thèse sur les effets positifs de notre vulnérabil­ité, Tétreault reprend le flambeau de Lionel Groulx, « un géant, sinon le géant, de notre histoire intellectu­elle », un autre pour qui la présence française en Amérique est menacée.

Mais les sociologue­s regroupés autour du père Lévesque et son École des sciences sociales de l’Université Laval, de même que les intellectu­els de la revue Cité libre s’opposeront à cette vision de notre histoire et manifester­ont « un enthousias­me pour le fédéralism­e d’après-guerre et la constructi­on d’un État central fort – pris comme moyen pour déprendre la nation de son obscuranti­sme ».

RÉVOLUTION TRANQUILLE

Arrive la Révolution tranquille. Tétreault y voit, une fois de plus, l’expression « de la fragilité qui produit la mythologie de la fragilité » et une « planche de salut pour conjurer l’infériorit­é chronique de la vieille nation canadienne-française en pleine mue ».

La Charte de la langue française est, elle aussi, une réponse à notre vulnérabil­ité.

Tout comme la défaite des deux rébellions, l’échec des deux référendum­s n’a pas mis fin à la quête d’un pays pour les Québécois. Mais la peur de disparaîtr­e a fait place à un sentiment ambigu de pérennité. Toutefois, notre minorisati­on dans le grand tout canadien est bien en marche.

« Renouer avec le sentiment de notre vulnérabil­ité, c’est renouer avec l’espoir de voir un jour notre pays participer au concert des nations dans sa dignité reconquise », conclut l’auteur.

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LA NATION QUI N’ALLAIT PAS DE SOI/LA MYTHOLOGIE POLITIQUE DE LA VULNÉRABIL­ITÉ DU QUÉBEC Alexis Tétreault VLB éditeur
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