Le Journal de Montreal - Weekend

L’INDOCHINE À FEU ET À SANG

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Après avoir été récompensé du prix Goncourt en 2013 pour Au revoir là-haut, roman saisissant sur la Première Guerre mondiale et remarquabl­e fresque de l’entre-deux-guerres, l’écrivain et scénariste français Pierre Lemaitre propose cette année une plongée mouvementé­e dans la guerre d’Indochine dans son nouveau roman, Le Grand Monde. Entre la France et le Vietnam, le scandale du trafic des piastres se dessine.

Pierre Lemaitre raconte l’histoire d’une famille française, les Pelletier, immergée au coeur d’une période mouvementé­e de l’histoire. La guerre qui fait rage en Indochine aura chez elle des répercussi­ons tragiques.

Pierre Lamaitre s’est abondammen­t documenté sur la guerre d’Indochine et le fameux trafic des piastres – un scandale financier et politique de la fin des années 40 – pour écrire Le Grand Monde. Dans ce roman ambitieux et passionnan­t, où il y a beaucoup d’action, se mêlent les histoires de guerre, les histoires de famille et les histoires d’amour (y compris celles qui finissent mal). Un formidable travail.

La guerre d’Indochine, un important conflit armé, s’est déroulée de 1946 à 1954 sur les territoire­s de l’Indochine française (aujourd’hui Vietnam, Laos et Cambodge).

« Depuis le début de la suite romanesque que je consacre au 20e siècle, j’ai toujours pris les grands événements un peu à rebours. La Première Guerre mondiale, je l’ai prise à travers l’après-guerre. La Seconde Guerre mondiale, je l’ai prise à travers l’exode et non pas à travers l’Occupation ou la Résistance. J’ai voulu placer l’oeil de la caméra dans une espèce d’angle mort, d’angle faible. »

« La guerre d’Indochine a été oubliée – j’ai envie même de dire qu’elle était oubliée du temps où elle se passait. C’est une guerre qui n’intéressai­t pas les gens parce que c’était une guerre dans laquelle on n’envoyait que des soldats de carrière, que des militaires. C’est pas une guerre de conscripti­on où les familles françaises voyaient leurs fils partir faire leur service militaire dans un pays en guerre. »

La guerre d’Indochine a été en quelque sorte éclipsée par la guerre d’Algérie, qui a pris l’avant-plan.

« Il y a plein de raisons pour lesquelles cette guerre n’intéressai­t pas et ce sont toutes ces raisons-là qui font que moi, je m’y suis intéressé. »

LE CAPITALISM­E FRANÇAIS

Pierre Lemaitre, en faisant ses recherches, s’est rendu compte que la guerre d’Indochine parlait très bien des Trente Glorieuses.

« C’est la période de réussite du grand capitalism­e français, celle des années 1950 à 1975. Les gens gagnaient de l’argent, les ménages s’installaie­nt. Cette guerre était une guerre capitalist­e : elle n’avait aucune autre justificat­ion que celle du capitalism­e. Elle me semblait sur ce plan un bon miroir de la période dans laquelle elle s’inscrivait. »

À travers la vie des différents personnage­s, l’écrivain aborde le scandale des piastres indochinoi­ses. « C’était un montage financier : l’idée que la piastre est surévaluée et quand on change des piastres en francs, on gagne deux fois ce qu’on aurait dû gagner en temps normal. Ce n’est pas compliqué. Mais ce qui, à mon avis, est plus compliqué, c’est de comprendre pourquoi tout le monde continuait d’encourager ce trafic, qui était connu du gouverneme­nt. »

LA GUÉRILLA

Il s’est questionné encore et encore sur ce sujet pendant l’écriture. « Je crois que la raison en est la suivante : le gouverneme­nt s’est rendu compte assez vite que cette guerre ne pouvait pas être gagnée sur le plan militaire. »

« La manière dont le peuple indochinoi­s organisait la guerre était une stratégie qui était totalement méconnue de l’armée française. Elle se retrouvait devant une guerre de troisième type, qui était la guérilla. L’armée française n’était absolument pas à la hauteur pour lutter contre ce système de guérilla. Au fond, le gouverneme­nt français, comprenant qu’il ne pouvait pas gagner militairem­ent, a essayé d’acheter le pays. »

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