Le Journal de Montreal - Weekend

SPECTACULA­IRE TOUR DU CHAPEAU

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Jadis comptant de vastes terres agricoles, la lente transfigur­ation de Harlem s’accélère d’abord au milieu du XIXe siècle avec l’arrivée de riches industriel­s, qui y bâtissent de somptueuse­s maisons secondaire­s.

Puis, au tournant du nouveau siècle, la bulle spéculativ­e éclate. Les richissime­s propriétai­res quittent le quartier, abandonnan­t derrière eux leurs valets afro-américains. Laissée à elle-même, cette communauté se réappropri­e les lieux.

Arrivent les années 20, et la création du jazz qui ravive Harlem. Malheureus­ement, la crise de 1929 – le krach financier des « blancs » – mettra abruptemen­t en pause sa fulgurante effervesce­nce.

Entre alors en scène Stéphanie StClair alias Queenie, une redoutable femme d’affaire et gangster qui a la mainmise sur les paris sportifs, au grand déplaisir de la mafia irlandaise, qui détient le reste de Manhattan.

C’est par la lorgnette de Bob Bishop, journalist­e blanc qui était le voisin du protagonis­te de Giant, qu’on découvre la reine d’Harlem sous la plume affûtée de l’illustrate­ur.

« Comme on ne connaît pratiqueme­nt rien du passé de Queenie, je lui en ai composé un, affirme Mikaël. Puisque j’ai habité un moment aux Antilles, ça m’est venu tout naturellem­ent d’imaginer un pan de sa jeunesse là. Aussi, j’ai voulu redéfinir ce qu’est une personne noire, au-delà du cliché du Sud. Qu’est-ce qu’un Américain métissé ? C’est forcément une question complexe, nuancée, dont la réponse est plurielle. »

BIEN PLUS QU’UN SIMPLE BIOPIC

L’auteur se défend d’avoir livré un biopic pour le premier tome de son nouveau diptyque. Il préfère plutôt le ressenti reposant toutefois sur de solides recherches.

« Je ne souhaite pas être esclave de la documentat­ion. C’est par le truchement de l’émotion que je choisis de raconter cette ville et ses habitants. »

Mikaël connaît intimement New York. La lecture de ses albums nous immerge instantané­ment dans ses parfums, ses moindres recoins de rues et d’édifices. Rien n’est laissé au hasard dans son découpage et sa mise en cases. Son Harlem nous surplombe comme elle le fait pour le sud de l’île. Armé de son appareil photo, il a cartograph­ié chaque parcelle d’Harlem. Même s’il n’a pas su trouver la sépulture de Queenie, il a réussi à se faufiler dans le hall d’entrée de l’édifice où elle habita, jadis. Un coup de bol du destin.

« Lorsque je me suis pointé au 409, Edgecombe Avenue, un habitant y entrait. Voyant que je m’intéressai­s à l’immeuble, il m’a ouvert la porte. Après une brève discussion où je lui présentai les grandes lignes de mon projet, le compositeu­r jazz Bryan Reeder, que je remercie dans l’album, me fit visiter son appartemen­t situé au 13e étage, là où elle habita jadis. Une chance inouïe, car mes multiples tentatives de visiter l’immeuble sont demeurées lettre morte. »

Ses Giant et Bootblack connaissen­t un grand succès chez nos voisins du sud en traduction anglaise. Rien d’étonnant, car aucun bédéiste étranger n’a réussi à ce jour croquer la Grosse Pomme comme Mikaël le fait.

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HARLEM TOME 1 Mikaël Éditions Dargaud

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