Le Journal de Montreal - Weekend
POUR SE RÉVEILLER DE LA ROMANCE
ROMANS D’ICI Que de secrets nous échappent derrière les histoires d’amour à sens unique !
Six nouvelles composent le recueil, Nuits portatives, de Louis Carmain, à qui l’on doit déjà trois romans salués par la critique. Six nouvelles comme autant de facettes d’histoires d’amour inabouties.
L’intérêt ici tient à la fugacité de ces unions impossibles ; fugaces parce qu’elles tiennent à des impressions, voire à des apparitions. Et Carmain nous les raconte par petites touches, un sourire jamais très loin, comme pour mieux souligner à quel point ses personnages se perdent dans les illusions.
Il y a d’abord Paul, que Rita vient de laisser. Il est dévasté et décide d’aller s’oublier lui-même dans une destination lointaine : ce sera à Bakou, juste parce que le nom a la fantaisie de l’enfance.
Les années passent, Paul s’en tient à une routine très simple que rien ne vient troubler. Jusqu’au jour où il voit passer Rita. Enfin, ce n’est pas vraiment elle, mais plutôt sa chevelure… Puis il croisera une autre Rita. Enfin, elle n’en a ni les cheveux, ni les cils, ni les mains… Mais le nez, « c’était son nez » ! Avec une troisième, c’est la démarche qui sera le point de repère.
Trois Rita, mais qu’en faire ? Pourquoi ne pas leur donner rendez-vous pour les revoir ensemble… Et, de manière inattendue, conclure bellement cet amour rêvé.
C’est Agathe qui prend le relais de Paul, et à nouveau on côtoie un personnage qui vit dans sa tête.
Pour Agathe, la lecture est plus tangible que la réalité. Elle lit dès qu’elle le peut, dont le soir avant de s’endormir. « Souvent, elle rêve au livre qu’elle vient de refermer. Ses réveils, vous le devinez, sont des déceptions. »
Ses amours le sont tout autant. « Elle préfère donc imprégner son esprit d’amants livresques, disponibles, éternels. » Ainsi, elle peut les convoquer à sa guise, en disposer à son goût, « ils sont prisonniers de sa lecture ».
Or au bureau, des collègues la poussent à sortir de sa coquille. Des amoureux de la lecture il y en a aussi du côté masculin ! Tiens, prenons Michel, un gars du bureau : n’a-t-il pas chez lui une bibliothèque de livres anciens ? Intriguée, Agathe se rapproche peu à peu de lui. Elle découvrira un homme bien plus troublant que ses héros de papier.
RICHESSE DES VIES INTÉRIEURES
On connaîtra aussi Claude qui n’arrive pas à voir ses yeux dans le miroir, ce qu’elle n’ose pas révéler aux hommes qui cherchent à la séduire. Et Serge qui a rendez-vous chaque nuit avec la lune ; Carl qui se raconte des peurs en Islande ; Hafsa qui est plongée dans la guerre…
Tout ce monde se perd dans ses relations amoureuses, mais chaque nouvelle se conclut par un sursaut qui permet au protagoniste de secouer le joug secret qui l’entrave.
Une démonstration tout en finesse et clins d’oeil de la richesse des vies intérieures et des barrières qu’elles peuvent aussi créer.