Le Journal de Montreal - Weekend
POUR SE RÉCHAUFFER LE COEUR
Qui ose parler de bonté de nos jours ? Monique Proulx le fait, dans un roman éclatant de lumière.
Markus, le narrateur d’Enlève la nuit, arrive tout droit du précédent roman de Monique Proulx, Ce qu’il reste de moi, paru en 2015. Elle y racontait l’essence de Montréal à travers différents personnages, dont Markus, juif hassidique de 20 ans qui quitte sa communauté.
Ce jeune homme en rupture totale avec son passé et qui a tout à découvrir de la vie moderne recelait un tel potentiel que Proulx l’a récupéré – on dira même littéralement.
Au tout début d’Enlève la nuit, Markus s’apprête en effet à se jeter devant une voiture pour en finir avec son écrasante solitude. La main d’un inconnu se pose sur son épaule, bloquant son mouvement. Le vieil homme s’éloigne aussitôt, mais cela a suffi : Markus a compris qu’on peut « laisser passer le pire sans le suivre ».
Il se décide donc à entrer dans le refuge pour itinérants qu’il avait jusqu’ici contourné ; il trouve un petit boulot, puis un modeste logis ; et il entreprend des cours de français que donne la soeur de son propriétaire.
Il y rencontre des jeunes avec qui il va sortir dans des bars, où il va tomber sur Abbie, qui a aussi fui la communauté, et sur Raquel, une autre hassidique avec qui il devait se marier ! Ensemble, ils font la découverte d’un
Montréal qui ne dit pas son nom
– d’ailleurs, même la communauté hassidique n’est pas directement nommée.
Mais ce qui compte le plus dans cette cascade d’événements drôles ou difficiles, qui voit aussi le retour d’autres personnages de Ce qu’il reste de moi, c’est la luminosité des écrits de Markus.
Car celui-ci est déterminé à remplir ses cahiers neufs de nouvel « écrivant ». Ce n’est pas facile, d’où une mise en garde de départ : « Pardonnez les fautes, et les répétitions, et les mots trop petits ou trop vantards, ou pas à leur place. »
C’est au contraire formidable : une décomposition des mots et un jeu de la langue qui ramènent constamment à l’essentiel. On pense à Sol, qui enchantait autrefois petits et grands.
SENSIBLE À L’AUTRE
Ainsi, Markus rêve d’appartenir au « Frais Monde », de rencontrer une Mignonne et de fréquenter avec assurance la Gigantesque Bibliothèque. Et la liberté qu’il a conquise est pour lui une grâce ; pourquoi alors chez les autres qui ont tout, « de joie, il n’y a pas » ?
Il s’interroge tant qu’il finit par comprendre ce qui le distingue : « Se pourrait-il, Markus, que ton mouvement à toi, le grand qui dirige tes mouvements petits, soit de donner au lieu d’attendre de recevoir ? »
Dès lors, il s’emploiera à donner, et ça ira tout croche, et tout beau, et tout réconfortant : une religion sans dogme, juste sensible à l’autre. C’est si inspirant qu’on en sort avec un grand appétit de la vie.
La mission de Markus Kohen est accomplie.