Le Journal de Montreal - Weekend

MONTRER LES LIMITES coeur battant

Cinq questions à Danielle Trottier, autrice d’À

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante @quebecorme­dia.com

Danielle Trottier a le don de nous transporte­r au coeur d’univers sensibles, méconnus, où les nuances font une différence. Nous avons eu de l’empathie pour les femmes de l’Unité 9. De la bienveilla­nce pour les adolescent­es de Toute la vie. Chaque fois, les trames étaient aussi riches qu’inconforta­bles. Chaque fois, l’autrice a réussi à nous confronter à une réalité où le jugement devenait impossible.

Elle s’attarde cette fois-ci à un sujet délicat, actuel et dur. À un milieu où les limites ne sont plus à tester, mais plutôt à mettre. Elle jette son regard sur la violence conjugale, celle qui se vit trop souvent en silence, dans l’intimité. Avec À coeur battant, on retrouve Christophe L’Allier (Roy Dupuis), dont la mission est d’outiller et de réhabilite­r ces hommes, et Gabrielle Laflamme (Ève Landry), une procureure de la Couronne sans demi-mesure. Si leurs moyens sont différents, leur mission est commune. Chaque geste violent est un geste de trop. Impossible pour le téléspecta­teur d’y être insensible.

À quel moment l’idée de poursuivre avec Christophe L’Allier dans un organisme pour hommes violents a-t-elle surgi ?

C’était présent sans être conscient. Dans Toute la vie, Christophe faisait déjà du bénévolat auprès d’un organisme. Le passé familial qu’il a aujourd’hui, il l’avait il y a 5 ans. J’ai vu le potentiel énorme de plonger au coeur de la violence, mais j’avais orienté mes recherches et mes démarches vers la grossesse chez les adolescent­es. C’est le réalisateu­r, Jean-Philippe Duval, qui a tout de suite pensé à Roy. Son expérience devenait hyper pertinente. En 2019, je me suis intéressée aux états généraux sur les maisons pour femmes violentées. C’était nécessaire pour moi, comme femme, comme humaine, d’en parler au-delà des gros titres que l’on voit passer.

C’est un sujet délicat. Était-ce risqué de donner la parole aux hommes ?

Un homme arrêté pour un assaut grave va faire de la prison, va avoir une interdicti­on de contact à sa sortie et va recommence­r. Combien de fois on a vu ça ? Je me devais d’aller vers les producteur­s de violence. Je voulais voir pourquoi ils se donnent ces droits-là, ces permission­s-là. Il faut aider les femmes, c’est certain. Mais il faut aussi aider ceux qui produisent cette violence. Je ne parle pas de gangstéris­me. Je parle de ce qui se passe dans l’intime, dans les familles. J’ai voulu voir le problème dans son ensemble, montrer des gens qui côtoient la violence. Je le fais pour les femmes. C’était épeurant de regarder dans cette direction-là, mais c’était important pour la comprendre. Il est parfois difficile de déceler quand c’est de la chicane et quand c’est de la violence. Même pour ceux qui la font.

Est-ce que les tristes événements de la dernière année ont influencé ton écriture ?

Je ne voulais pas aller vers les féminicide­s. Il y a tellement de femmes qui souffrent sans dénoncer par peur de perdre la garde de leur enfant, leur maison. Ce n’est pas facile de « juste » partir. Christophe est branché sur sa société. Il est capable de dire tout ce qu’on pense. Il ne pogne jamais les nerfs. Il met des mots sur des choses difficiles. Et Gabrielle vient aussi contre-balancer. Pour elle, se mettre en colère garde en vie. Des hommes violents ont une emprise verbale, financière, psychologi­que sur des femmes qui deviennent muettes. Avec le temps, on oublie les limites. J’ai inversé les comporteme­nts de mes personnage­s. Ici, la colère peut être une force et mettre des limites claires.

C’était important de montrer plusieurs archétypes ?

Charlène a vécu des moments de grande intensité avec Yoan. Il a été aimant, c’est un bon père. Il n’est pas juste celui qui l’a frappée. Je ne pense pas qu’il s’est aimé quand il a perdu le contrôle. Il y a tellement de facettes à la violence que j’ai dû l’individual­iser. Marcel est d’une autre époque. Aujourd’hui, il y a de nouvelles limites. Dans le cas de Bert, c’est un excellent policier. Son commandant dit qu’il est juste violent avec sa femme et qu’avec les autres, il est bon. Pourquoi être violent avec quelqu’un qu’on aime ? J’essaie d’aller où on ne va jamais. J’apprends beaucoup.

Il y a des scènes très intenses. T’arrive-t-il, quand tu écris, d’avoir besoin de t’aérer l’esprit ?

Mes émotions, je les vis avant et après, et non pendant l’écriture. Quand je m’assois, c’est technique. C’est un travail d’organiser une réalité pour qu’elle fonctionne. Ce ne sont pas les émotions qui mènent l’écriture, mais l’attention que je porte aux personnage­s, du pire au meilleur.

Mardi 20 h sur ICI Télé

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