Le Journal de Montreal - Weekend

LA FRAGILITÉ DE L’AMITIÉ

- MAXIME DEMERS Le Journal de Montréal maxime.demers@quebecorme­dia.com

Il y a cinq ans, le jeune cinéaste belge Lukas Dhont faisait une entrée fracassant­e dans le monde du cinéma en remportant la Caméra d’or du Festival de Cannes avec son premier long métrage, Girl. On aurait pu croire que ce succès instantané lui donnerait l’élan nécessaire pour réaliser un nouveau film rapidement. Mais c’est finalement le contraire qui s’est produit.

« J’ai vécu le cliché du réalisateu­r pour lequel l’écriture d’un second film s’accompagne d’énormément de peur et de questionne­ments, a confié le cinéaste de 31 ans, dans un entretien accordé au

Journal par visioconfé­rence en décembre dernier.

« Je suis donc allé chercher des clips YouTube pour voir si d’autres réalisateu­rs s’étaient déjà exprimés sur cette crainte de réaliser un second film. Je suis tombé sur une vidéo de Julia Ducournau qui parlait du fait qu’elle avait dû faire le deuil de son premier long métrage (Grave) avant d’écrire

Titane. Ça m’a semblé logique, parce que l’écriture et la réalisatio­n d’un film, c’est généraleme­nt un projet qui nous accompagne pendant plusieurs années de notre vie. C’est normal d’avoir un deuil à faire avant d’embarquer dans un autre projet ».

Lukas Dhont a donc décidé de prendre son temps avant de commencer à chercher le sujet de son film suivant. Le thème de l’amitié masculine s’est toutefois imposé rapidement. Son drame Close ,qui prend l’affiche cette fin de semaine au Québec après avoir été nommé la semaine dernière pour l’Oscar du meilleur film internatio­nal, relate l’histoire d’une amitié fusionnell­e entre deux garçons de 13 ans, qui se brise au moment où ils entrent dans l’adolescenc­e.

« Un des premiers mots que j’ai couchés sur papier quand j’ai commencé à réfléchir à mon second film, c’était “amitié”, se rappelle-t-il. Pourtant, c’est un thème qui était assez complexe dans ma vie. Parce que quand j’étais jeune, j’ai souvent repoussé des amis parce que j’avais peur de vivre avec eux une intimité et une sensualité qui étaient immédiatem­ent perçues comme quelque chose de sexuel. J’ai toujours pensé que cet éloignemen­t était lié au fait que j’ai grandi comme un garçon queer sur une campagne flamande. Mais c’était finalement plus complexe que cela. »

PERTE DE TENDRESSE

Le cinéaste a obtenu plusieurs des réponses qu’il cherchait depuis longtemps en lisant une recherche sociologiq­ue dans laquelle 150 garçons ont été suivis sur une période de cinq ans, entre l’âge de 13 et 18 ans.

« On pouvait y lire qu’à 13 ans, les garçons parlaient de leurs amitiés masculines comme si c’était des histoires d’amour, explique Lukas Dhont. Ils en parlaient avec tendresse et intimité en utilisant le mot “amour” ouvertemen­t. Mais quand ils atteignaie­nt l’âge de 16 ou 17 ans, ces mêmes garçons ne parlent plus de leurs amis de la même manière. Ils n’osent plus exprimer leurs émotions, leur tendresse et leur vulnérabil­ité.

« Quand j’ai lu cela, ça m’a ouvert les yeux et ça m’a beaucoup ému parce que j’ai compris que ce que j’ai vécu quand j’avais cet âge n’était pas du tout lié à mon expérience de garçon queer. C’était plus lié à la perte de tendresse qui vient avec la puberté. J’ai voulu essayer de trouver une manière de traduire cela dans un film. »

Close, à l’affiche depuis vendredi.

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Les jeunes acteurs Gustav De Waele et Eden Dambrine dans une scène du film Close.
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Lukas Dhont

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