Le Journal de Montreal - Weekend

La Conquête de 1760 a-t-elle, oui ou non, été un drame pour le Québec ?

- ÉRIC BÉDARD Historien Collaborat­ion spéciale

La Conquête anglaise de 1760 explique-t-elle l’infériorit­é économique des Canadiens français ? Durant les années 1950 et 1960, trois historiens de l’Université Laval répondent non.

Professeur d’université à Saguenay, François-Olivier Dorais s’est penché sur l’école historique de Québec, marquée par les travaux de Marcel Trudel, Fernand Ouellet et Jean Hamelin.

Cette brillante étude montre les limites de l’objectivit­é en histoire.

Les historiens, même les plus rigoureux, proposent souvent des interpréta­tions qui reflètent leurs valeurs ou leurs orientatio­ns politiques. Ils ne font pas que présenter les grands événements du passé, ils en expliquent les causes et les conséquenc­es.

Voilà pourquoi la fondation de Québec, les affronteme­nts de 1837 et la Révolution tranquille font régulièrem­ent l’objet de débats et de discussion­s entre historiens. Les faits sont les mêmes pour tous, mais le sens et la portée qu’on leur donne peuvent varier.

À QUI LA FAUTE, ALORS ?

De tous les événements de notre histoire, la Conquête de 1760 a certaineme­nt été l’événement le plus discuté et débattu.

Une première école, nationalis­te, a toujours présenté la victoire des Anglais comme une catastroph­e qui expliquait les retards de la société québécoise d’avant la Révolution tranquille. Face à cette « école de Montréal », celle de Québec, souvent qualifiée de « bonne-ententiste », a longtemps soutenu que les retards qu’accusaient les Canadiens français sur le plan économique n’avaient rien à voir avec la Conquête.

À qui la faute, alors ? À des agriculteu­rs paresseux qui refusaient les innovation­s techniques, à une Église réactionna­ire figée dans la tradition et à une petite bourgeoisi­e d’avocats attachée au régime seigneuria­l et réfractair­e aux règles nouvelles du capitalism­e libéral.

EN GUERRE CONTRE LES SOUVERAINI­STES

Des trois historiens étudiés par Dorais, Fernand Ouellet était certaineme­nt le plus radical. Son

Histoire économique et sociale du

Québec, 1760-1850 (1966), malgré ses statistiqu­es et ses tableaux qui donnaient à son ouvrage une allure savante, était une charge polémique contre une mentalité jugée archaïque. Les « héros » de Ouellet étaient ces marchands britanniqu­es qui incarnaien­t les progrès du commerce et de l’industrie. Ceux-là mêmes qui financeron­t des milices pour écraser le mouvement patriote.

Historien iconoclast­e, Marcel Trudel va s’employer à montrer tous les travers des grandes figures de la Nouvelle-France. Alors que les Canadiens français avaient longtemps tiré une légitime fierté de ces lointaines origines, Trudel prépare la voie aux chantres de la déconstruc­tion en montrant tous les travers d’une société pauvre qui reproduisa­it les institutio­ns vétustes de l’ancien régime français. Cette perspectiv­e le mènera à considérer la Conquête britanniqu­e comme un événement salutaire.

Sauf Jean Hamelin, le plus nuancé des trois, Ouellet et Trudel trouvent refuge à l’Université d’Ottawa et leurs oeuvres respective­s fourniront quantité d’arguments aux fédéralist­es pour combattre la menace « séparatist­e ».

L’école de Québec existe-t-elle toujours ? Plus vraiment, sauf Jocelyn Létourneau, cet ancien boursier de la Fondation Pierre Elliott Trudeau qui milite pour la dénational­isation de notre histoire.

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Marcel Trudel, historien iconoclast­e, en était venu à considérer la Conquête comme un événement salutaire.
 ?? ?? Lord Durham, après la Conquête anglaise, avait qualifié les Canadiens français de « peuple sans littératur­e et sans histoire ».
Lord Durham, après la Conquête anglaise, avait qualifié les Canadiens français de « peuple sans littératur­e et sans histoire ».
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Fernand Ouellet était, de loin, l’historien le plus radical de l’école de Québec.
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Par opposition à ceux de l’école nationalis­te de Montréal, ces historiens de l’école de Québec, oeuvrant à l’Université Laval (dont on voit le campus sur cette photo), étaient convaincus que les problèmes des Canadiens français n’avaient rien à voir avec la Conquête.
 ?? ?? François-Olivier Dorais L’ÉCOLE HISTORIQUE DE QUÉBEC. UNE HISTOIRE INTELLECTU­ELLE Montréal Boréal, 2022
François-Olivier Dorais L’ÉCOLE HISTORIQUE DE QUÉBEC. UNE HISTOIRE INTELLECTU­ELLE Montréal Boréal, 2022
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