Le Journal de Montreal - Weekend

UN CHANT D’AMOUR PUISSANT

Émigré à Montréal, Tarek a laissé derrière lui une splendide histoire d’amour, qui n’est pourtant pas celle qu’il croit.

- JOSÉE BOILEAU

L’essentiel de Ce que je sais de toi se déroule au Caire, une ville d’une « entêtante présence olfactive », liton dans le roman. C’est exactement ce que l’on ressent dès les premières lignes : quel parfum se dégage ici ! Il ne nous quittera pas.

L’histoire racontée est chargée de chagrin et de contrainte­s sociales. Elle a néanmoins le goût du miel et de la fleur d’oranger, l’odeur des pistaches et celle du cumin. Et ça enrobe les mots, en adoucit la tristesse, nous transporte ailleurs.

TROIS PARTIES

Éric Chacour a divisé son roman en trois parties : un bloc important intitulé Toi, suivi de Moi, qui occupe le tiers de l’ouvrage, puis d’un très bref Nous.

C’est « moi » qui raconte ; moi, Rafik, fils de Tarek. Il a décidé de reconstrui­re l’histoire de son père qui a fui à Montréal en 1984, sans même savoir que son épouse était enceinte. Depuis, Tarek n’a plus donné de nouvelles.

Pourquoi est-il parti ? Pourquoi son nom est-il tabou dans la famille ? Devenu adolescent, Rafik veut savoir. Et pour comprendre, il écrit, transforma­nt en récit les bribes d’informatio­n qu’il arrive à extirper de Fatheya, la bonne de la famille qui en connaît tous les secrets.

D’où la première partie au « tu » avec cette phrase qui lance le roman : à 12 ans, « tu ignorais alors qu’il fallait se méfier des questions simples ».

Car rien n’est simple dans l’Égypte où Tarek a grandi. Dans les années 1960, Nasser fait rêver et tout semble possible. Mais le conservati­sme a de beaux jours devant lui et le vent de liberté qui souffle se refermera quand la mouvance islamiste prendra de plus en plus de place vingt ans plus tard.

ÉCHO PUISSANT

C’est dire si l’amour trouble de Tarek pour Ali, un jeune prostitué que le hasard a mis sur sa route, le rend suspect.

Déjà qu’il est issu d’une famille chrétienne, occidental­isée, dont les ancêtres avaient fui les massacres de Damas en 1860. Dans son monde, on parle même davantage français qu’arabe, et l’on sait rendre hommage à ses semblables qui, de Claude François à Dalida en passant par Moustaki, ont fait carrière en France. Tarek vit dans une bulle.

Avec Ali, il découvre un tout autre monde et, quoique marié, cache de moins en moins sa vie parallèle. Au point où son statut de médecin n’arrive plus à le protéger – ce qui le conduit à l’exil.

On croit que cette passion-là domine le roman – jusqu’à ce que Rafik se dévoile comme narrateur. On comprend alors que c’est lui qui pousse le véritable chant d’amour du récit pour faire rentrer au port le père qui est parti.

Et l’écho en est si puissant, sa constructi­on si originale, qu’on se pince à constater que Chacour signe ici son premier roman. Cela rajoute à l’envoûtemen­t.

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296 pages 2023
CE QUE JE SAIS DE TOI Éric Chacour Alto 296 pages 2023
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