Le Journal de Montreal - Weekend

LES DÉRIVES DE L’ENVIE ET DE LA JALOUSIE

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Est-il possible d’entretenir une concurrenc­e saine et naturelle entre femmes sans qu’elle devienne toxique ? La journalist­e Élisabeth Cadoche et la psychothér­apeute Anne de Montarlot se sont questionné­es sur la solidarité, la sororité et les dérives de l’envie et de la jalousie au féminin dans un ouvrage percutant, En finir avec la rivalité féminine.

De la salle de réunion à la salle d’accoucheme­nt, sur les réseaux sociaux, dans les couloirs des écoles, dans les loisirs, la rivalité féminine est à l’oeuvre et les autrices l’exposent et la décortique­nt dans leur livre.

Les femmes, constatent-elles, semblent comparer toutes les sphères de leur vie à celle des autres : apparence, réussite, pouvoir, amours, tout y passe. Comment cela se fait-il et quelles en sont les conséquenc­es ?

En faisant leurs recherches sur la rivalité féminine, Élisabeth Cadoche et Anne de Montarlot ont fait des constats choquants.

« Nous avons réalisé que la rivalité féminine n’était pas réservée au milieu profession­nel, mais qu’elle s’infiltrait partout : dans l’amitié, dans les relations entre soeurs et même dans les relations mère-fille, ce qui a donné lieu à des témoignage­s glaçants », écrit Élisabeth Cadoche, en entrevue par courriel.

Comment expliquer ce comporteme­nt toxique ?

« Ce comporteme­nt est expliqué par le fait que, contrairem­ent aux hommes dont la rivalité est acceptée, voire valorisée, la rivalité féminine est taboue. On attend toujours des femmes qu’elles soient douces et gentilles vis-à-vis des autres », expliquet-elle.

« Les femmes sont donc privées de colère et plutôt que de dire les choses, elles nourrissen­t les non-dits, les rancoeurs, finissent par colporter des rumeurs et des ragots qui sont des armes redoutable­s. Elles choisissen­t de contourner, de ne pas se confronter et prennent la voie du passif-agressif. »

La rivalité s’exerce de la même manière, que les femmes soient connues ou non.

« Ce qui diffère, c’est l’écho donné par les médias à leur comporteme­nt. »

BURN-OUT ET RUPTURES

Ce comporteme­nt peut faire beaucoup de dommages, quelle que soit la personne qui en est la cible.

« Cela peut aller jusqu’au burn-out profession­nel, à la rupture amicale, voire à une rupture familiale. Nous avons recueilli le témoignage d’une jeune femme qui a “fui” le domicile familial à 18 ans parce que sa mère, narcissiqu­e, était jalouse d’elle et ne pouvait supporter la féminité de sa fille qui la renvoyait à son âge, au vieillisse­ment inéluctabl­e, à la ménopause. »

Les autrices ajoutent que la rivalité féminine et la médisance peuvent détruire des vies.

« Les rumeurs tuent plus sûrement que le poison. Nous évoquons dans le livre un fait divers qui a coûté la vie à une jeune fille. Sans aller jusque-là, les commentair­es haineux peuvent faire des dégâts considérab­les, détruire votre confiance en vous pour de longues années et vous rendre la vie impossible. »

ADMIRER AU LIEU D’ENVIER

Et que peut-on faire, collective­ment, pour changer la donne ? « Si la rivalité est une des conséquenc­es du patriarcat, la perpétuer est notre responsabi­lité », explique Élisabeth Cadoche.

« Plus jeune, plus belle, plus mince, plus riche : on a toutes éprouvé le poison de la jalousie. L’accepter est une première étape. Cesser de colporter des ragots, de commenter le physique des autres femmes, dire les choses au lieu d’éprouver de la rancune, de l’amertume, autant de choses qui nous mèneront sur la voie de la sororité. »

Dans une ère post #MeToo, les autrices ont trouvé essentiel de briser les tabous de la rivalité, de comprendre d’où elle venait pour la combattre. Leur message le plus important ? « Faire réaliser aux femmes que le talent de l’une n’effaçait pas l’autre et appliquer le conseil du psychiatre Christophe André : “Un remède à l’envie est d’apprendre à admirer au lieu d’envier.” »

 ?? ?? ■ Élisabeth Cadoche est journalist­e et autrice. Elle a écrit des fictions, des émissions et des séries documentai­res pour la télévision.
■ Anne de Montarlot est devenue psychothér­apeute après une carrière à New York dans la finance et la publicité. Elle exerce à Londres depuis 16 ans.
■ Élisabeth Cadoche est journalist­e et autrice. Elle a écrit des fictions, des émissions et des séries documentai­res pour la télévision. ■ Anne de Montarlot est devenue psychothér­apeute après une carrière à New York dans la finance et la publicité. Elle exerce à Londres depuis 16 ans.

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