Le Journal de Montreal - Weekend
L’histoire des duchesses a marqué celle des femmes
Autrefois très populaire, le concours est devenu gênant dans les années 1990
« Je veux te parler à toi qui deviendras peut-être reine du plus célèbre carnaval d’hiver au monde ! Toi qui mesures entre 5’2 et 5’7 ; toi qui es née entre le 1er octobre 1950 et le 30 septembre 1956. Viens t’inscrire à la banque, à la caisse, au centre d’achat ; partout il y a des formulaires », dit une voix d’homme dans la publicité du Carnaval de 1975.
Le recrutement des aspirantes duchesses bat son plein dès l’automne. Les candidates doivent être célibataires sans enfants. Il en faut une pour les sept « duchés » de Québec et de la Rive Sud.
De 300 à 350 jeunes femmes se présentent chaque année.
C’est un jury, principalement composé d’hommes, qui les choisit au terme d’un processus de sélection où la beauté compte pour beaucoup.
« J’y ai appris à parler en public et à interagir avec des gens d’affaires et des journalistes », relate Barbara Ann Miller Roy, qui effectuera jusqu’à 21 activités par jour lorsqu’elle sera couronnée reine du carnaval de 1961.
Duchesse de Champlain, la mère de l’entraîneur des Remparts de Québec, Patrick Roy, a été la première anglophone couronnée. Elle a vécu des moments intenses durant son règne au… Château Frontenac.
SUCCÈS MONSTRE
« Difficile d’imaginer aujourd’hui ce qui pouvait attirer autant de participantes, mais il faut se replacer dans le contexte de l’époque », explique Geneviève Pronovost, professeure d’histoire au cégep Jean-de-Brébeuf et collaboratrice à la série Kébec, à Télé-Québec.
Ce concours connaît un succès monstre avant d’être aboli dans les années 1990 et de renaître de 2014 à 2018. Quelque 2300 Québécoises ont rêvé au diadème de 1955 à 1996.
« Pour les femmes qui voulaient faire carrière dans les arts de la scène, il n’y avait guère de perspectives d’avenir. La notoriété associée au titre de duchesse était énorme ! »
LE SOLEIL A PAS DE CHANCE
En 1975, un long métrage de l’Office national du film du Canada présentera les dessous du concours. Dans Le soleil a pas d’chance ,le cinéaste Robert Favreau suit des candidates sur plusieurs semaines dans la plus pure tradition du cinéma direct.
La compétition durant laquelle les candidates doivent se soumettre en souriant à des interrogatoires parfois grivois apparaît déjà en retard sur son époque.
« Le film a beaucoup déplu aux commanditaires qui avaient engagé Favreau pour faire la promotion du Carnaval. Ils ont intenté une poursuite contre le réalisateur avant sa sortie. Ça a donné une telle publicité au film que tout le monde a voulu le voir quand il est sorti », illustre Mme Pronovost. Un autre clou dans le cercueil des Duchesses a été assené par la comédienne Agnès Maltais. La future députée et ministre péquiste avait écrit une pièce de théâtre qui se moquait du cirque des duchesses. En tournée nationale, son spectacle a été donné à 125 reprises.
L’ex-maire Régis Labeaume redonnera vie au concours en approuvant une nouvelle formule en 2014.
« Il a voulu mettre en avant l’entrepreneuriat féminin, notamment. Et ces éditions ont connu du succès pour quelque temps », rappelle l’historienne.
Marjorie Champagne, une Québécoise qui avait rêvé enfant d’être reine, tourne le concours en dérision dans un blogue intitulé
« La revangeance des duchesses ». Elle s’attaque au caractère sexiste du couronnement de la reine et de ses prétendantes.
Le 23 mai 2018, les organisateurs mettent fin définitivement aux duchesses.