Le Journal de Montreal - Weekend

LA VENGEANCE APRÈS LE MALHEUR

Attirée par l’ambiguïté et l’ambivalenc­e des êtres, l’écrivaine française Véronique Ovaldé nous offre un portrait de famille qui sort du cadre.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Depuis déjà bon nombre d’années, Véronique Ovaldé fait partie des auteures qu’on suit avec plaisir. Parce qu’il est toujours agréable de lui parler, et parce qu’on aime ses histoires.

Après quatre ans de silence – son dernier roman, Personne n’a peur des gens qui sourient, remonte à 2019 –, on était donc ravi de la retrouver avec Fille en colère sur un banc de pierre, qui met en scène une famille déchirée par un terrible malheur survenu deux décennies plus tôt.

« La première image que j’ai eue, ce sont ces deux petites filles qui sortent par la fenêtre d’une maison et qui s’évadent, précise Véronique Ovaldé lors de l’entretien téléphoniq­ue qu’elle nous a accordé vers la fin janvier. Dès le début, je savais qu’il allait y avoir un drame, car je voulais raconter un organisme familial qui avait perdu un membre. J’avais ça en tête et dans le préambule, on en a tout de suite la promesse tragique. »

Cet organisme familial, ce sera celui des Salvatore.

À part Aïda, qui a dû s’exiler très jeune à Palerme, tous vivent encore à Iazza, petite île (fictive) située au large des côtes de Sicile. Mais à la suite d’un curieux coup de fil, même Aïda devra y remettre les pieds.

Son père, alias « Sa Seigneurie » ou « le Vieux », vient en effet de mourir et au cas où il y aurait un peu d’argent à la clé, elle trouvera le courage de revenir parmi les siens. Ceux-ci se comptent désormais sur les trois doigts d’une main : sa mère et ses deux soeurs aînées, Violetta et Gilda.

MOUTON NOIR UN JOUR…

Ça peut sembler dur à croire, vu la façon dont ils se comportent aujourd’hui, mais les Salvatore ont déjà été heureux, tous ensemble.

Pour ça, il faut toutefois remonter 20 ans en arrière, à l’époque où la petite Mimi gambadait toujours parmi eux.

Mimi. La quatrième et dernière soeur du clan, elle aussi nommée en l’honneur d’une héroïne des opéras de Verdi ou de Puccini. Mimi, que « Sa Seigneurie » aimait peut-être plus encore qu’Aïda. Sauf qu’un jour, pfuit. Sans vous dire comment et dans quelles circonstan­ces, la petite Mimi va littéralem­ent s’évaporer dans la nature.

Et comme elle ne sera jamais retrouvée ni sur l’île ni ailleurs, c’est Aïda qui sera tenue responsabl­e de sa disparitio­n. Elle n’avait alors que huit ans ? Pas grave, on lui collera tout sur le dos et même son père la rejettera durement. Essayez de grandir normalemen­t, après ça…

« Avec ce roman, je souhaitais me pencher sur la rivalité, la compétitio­n, la jalousie, explique Véronique Ovaldé. Et dans les familles de filles, je trouve que c’est encore plus violent, car souvent, les soeurs sont jugées sur leur physique, leur beauté, et la comparaiso­n permanente est accablante. J’ai toujours trouvé ça cruel parce que ça entraîne énormément de chagrin et de douleur. On peut y voir quelque chose d’anecdotiqu­e, mais en réalité, c’est fondamenta­l. »

UNE DOUBLE GAGEURE

En revenant à Iazza 15 ans après avoir fui cet endroit de malheur, Aïda retrouvera aussitôt deux vieux amis : son immense colère face à tout ce qu’on lui a fait subir durant sa jeunesse, et le besoin irrépressi­ble de comprendre, de savoir ce qui a bien pu arriver à sa petite soeur.

Mais dans ce lieu fermé sur luimême, les langues ne se délient pas facilement et les rancoeurs sont incroyable­ment tenaces.

« Quand on met quatre ans à écrire un livre, on brasse pas mal de choses qui nous intéressen­t, ajoute Véronique Ovaldé. Sur le couple, l’amour, les relations entre parents et enfants, le temps, l’imposture du libre arbitre… Dans ce livre, je voulais mettre à la fois tout mon amour des histoires, mon appétit pour l’invention, la fantaisie, et en même temps concilier ça avec une lecture extrêmemen­t réaliste de mes contempora­ins. Mais c’est une gageure d’essayer de raconter une histoire qui ne soit pas un fait sociétal. Une gageure de faire ça tout en soignant le plus possible le langage sans jamais céder à une phrase trop paresseuse. »

« Cela dit, je me suis permis de digresser et de transgress­er autant que je le voulais, et je suis tout le temps là dans le livre, termine-t-elle. Quand je dis “je”, ce “je” c’est moi qui donne mon avis, qui me moque, qui ouvre une parenthèse, qui prend à partie le lecteur, et c’est la première fois que je le fais autant. J’ai pris confiance. »

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PHOTO PASCAL ITO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS FLAMMARION
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FILLE EN COLÈRE SUR UN BANC DE PIERRE Véronique Ovaldé Éditions Flammarion 320 pages

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