Le Journal de Montreal - Weekend

Voici comment le Québec a perdu le Labrador, un territoire presque aussi grand que l’Italie

- FRÉDÉRIC BASTIEN Historien et chroniqueu­r Collaborat­ion spéciale

François Legault était à TerreNeuve il y a quelques jours pour échanger avec son vis-à-vis Andrew Furey. Ils ont parlé du contrat de la centrale électrique de Churchill Falls au Labrador signé entre les deux provinces en 1969. Valide jusqu’en 2041, celui-ci nous permet d’acheter l’électricit­é de Terre-Neuve pour une bouchée de pain et de la revendre à gros prix. Les TerreNeuvi­ens ne décolèrent pas depuis cette entente. Les Québécois, eux, n’ont jamais oublié d’avoir perdu le Labrador, un territoire presque aussi grand que l’Italie.

L’histoire commence avec la NouvelleFr­ance. Les cartes de l’époque incluent la terre du Laboureur, ou Estotiland, soit le sud du Labrador actuel.

En 1713, le traité d’Utrecht donne à l’Angleterre une grande portion de ce qui est aujourd’hui le nord du Québec.

En 1763, la province de Québec est réduite à la vallée du Saint-Laurent et nous perdons notamment le Labrador.

DÉSIGNÉ PAR LONDRES

Le gouverneur de la colonie de TerreNeuve est alors désigné par Londres comme responsabl­e de la gestion de la côte labradorie­nne. Celle-ci joue un rôle important pour les pêcheurs de l’île.

Cette situation est toutefois rectifiée en 1774. La Grande-Bretagne veut convaincre les Canadiens (français) de lui rester fidèles. Entre autres choses, elle élargit grandement le territoire de la colonie qui regagne le Labrador. Cette situation est confirmée avec la création du BasCanada en 1791.

Terre-Neuve toutefois a gardé un droit de gestion de la côte. La situation donne lieu à des disputes territoria­les, et, en 1809, le littoral repasse complèteme­nt sous contrôle terre-neuvien à la suite d’une décision de Londres.

CONFÉDÉRAT­ION

En 1867, la confédérat­ion reçoit un immense territoire, la terre de Rupert, qui était géré par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Cela inclut le nord du Québec actuel.

La province et le gouverneme­nt fédéral décident conjointem­ent ensuite d’étendre le territoire québécois vers le Nord, incluant le Labrador, moins sa portion côtière.

Terre-Neuve, qui ne fait alors pas partie du pays, a de son côté des prétention­s sur un territoire bien plus grand que la bande de terre étroite que le Canada et le Québec lui reconnaiss­ent. En 1902, on lui octroie une concession de bois le long d’une rivière située à l’intérieur du Labrador, ce qui amène le Québec à protester.

Quelques années plus tard, le litige se transporte au Conseil privé, la plus haute autorité judiciaire de l’Empire britanniqu­e. Terre-Neuve et le Canada plaident chacun leur cause devant les juges anglais.

Même si plusieurs arguments terre-neuviens sont très discutable­s, les trois avocats du Canada, dont deux choisis par le Québec, sont mal préparés. Ils ne sont pas à la hauteur des Terre-Neuviens. En 1927, le Conseil privé tranche finalement en faveur des insulaires.

PAS DE GESTES CONCRETS

Le Québec protestera longtemps contre cette décision, mais sans jamais poser de gestes concrets au-delà des paroles. Par ailleurs, aucune tentative n’est faite pour tenter de racheter à Terre-Neuve la région perdue.

En 1969, les deux provinces vont toutefois s’entendre sur l’exploitati­on de la centrale électrique de Churchill Falls. Le Québec fournit alors son expertise et son financemen­t pour bâtir celle-ci. En retour, il achète l’électricit­é à un prix intéressan­t pour le marché de l’époque. Le problème est que la valeur de l’énergie électrique va augmenter de façon substantie­lle par la suite. L’entente de Churchill Falls devient une véritable aubaine pour le Québec.

On verra si François Legault et Andrew Furey réussiront à renégocier cet accord. Quoiqu’il advienne, il y a fort à parier que la saga du Labrador continuera d’envenimer les relations entre le Québec et TerreNeuve.

 ?? ?? Le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau en 1926 à Londres pour plaider la cause du Québec devant le Conseil privé.
Le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau en 1926 à Londres pour plaider la cause du Québec devant le Conseil privé.
 ?? ?? Carte de la Nouvelle-France avec le Labrador, nommé aussi Estotiland.
Carte de la Nouvelle-France avec le Labrador, nommé aussi Estotiland.
 ?? ?? Un jeu de cartes pour apprendre la géographie au jeune roi Louis XIV. On peut lire que la Nouvelle-France est située sur la terre du Laboureur, Terre-Neuve et Estotiland.
Un jeu de cartes pour apprendre la géographie au jeune roi Louis XIV. On peut lire que la Nouvelle-France est située sur la terre du Laboureur, Terre-Neuve et Estotiland.
 ?? ?? François Legault et Andrew Furey, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, lors de la conférence de presse concernant le contrat de vente d’électricit­é de la centrale de Churchill Falls.
François Legault et Andrew Furey, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, lors de la conférence de presse concernant le contrat de vente d’électricit­é de la centrale de Churchill Falls.
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