Le Journal de Montreal - Weekend

UN PEUPLE REBELLE ET CONQUIS

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Que sait-on de la participat­ion des Canadiens français à « la première guerre de libération menée par les Américains à l’étranger », en 17751776 ? L’armée dite « continenta­le », levée par les Treize colonies en rébellion contre la Grande-Bretagne, a tenté de prendre Québec (et a bien failli), mais a dû rebrousser chemin après six mois de siège avec l’arrivée de renforts britanniqu­es par voie maritime. On a répété à satiété que les Canadiens français avaient refusé de participer à cette conquête américaine, sauvant ainsi le gouverneme­nt colonial britanniqu­e. Or, rien de plus faux, nous dit l’historien Gaston Deschênes, les Canadiens de la Côte-du-Sud, en bas et en face de la ville de Québec, ont plutôt manifesté une « neutralité participat­ive », en faveur des insurgés.

Et cette « neutralité participat­ive » se manifeste de diverses façons, entre autres par le refus d’obéir aux ordres de mobilisati­on lancés par le gouverneur Carleton et fortement appuyés par le clergé catholique. Si à Montréal et à Québec, l’administra­tion réussit à mobiliser quelques centaines de volontaire­s, en Beauce, à l’île d’Orléans et tout le long de la Côte-Sud, on résiste et attaque même les émissaires du gouverneme­nt. On organise aussi des milices armées autour de certaines paroisses pour barrer la route aux forces loyales au roi. Car on craint des actes de punition et du pillage à la suite de la désobéissa­nce civile. Partout on allume de petits feux, symboles de la rébellion, autour desquels on monte la garde.

DEVOIR DE SOUMISSION

Dans tous les cas, il s’agit de gens du peuple alors que la majorité des seigneurs se sont rangés dans le camp de la soumission, tout comme le bas clergé – à deux ou trois exceptions près – qui ne manque jamais une occasion de rappeler à ses ouailles leur devoir de soumission envers la couronne britanniqu­e. Mais c’est peine perdue, malgré les menaces de fermer les églises ou d’interdire aux rebelles l’administra­tion des sacrements. Un de ces curés va même jusqu’à affirmer, dans une lettre à son supérieur, que « les femmes sont du même sentiment que les hommes pour la rébellion ». Il ne faut pas chercher ailleurs, dans notre histoire, l’origine de ce sentiment anticléric­al qui nous a longtemps habités.

Pendant ce temps, les soldats américains, qu’on appelle les Bostonnais, ont traversé la frontière et s’emparent de la ville de Saint-Jean, après un long siège. Puis c’est au tour de Montréal de capituler, le 14 novembre 1775. Deux semaines plus tard, les Bostonnais s’emparent de Trois-Rivières. « L’armée continenta­le se trouve donc maître de la province, à l’exception de la ville fortifiée de Québec. » Cependant, la partie est loin d’être gagnée et Québec résiste. Les insurgés maintienne­nt le siège de Québec et ils peuvent compter sur la solidarité active des Sudcôtois pour leur ravitaille­ment. Cette solidarité peut aller jusqu’à s’emparer par les armes de vivres destinés aux assiégés de Québec pour les remettre aux rebelles.

RÈGLEMENTS DE COMPTES

Mais les renforts envoyés par l’Angleterre, en mai 1776, font battre en retraite les rebelles. C’est l’heure des règlements de comptes et les pro-rebelles en font les frais. Le clergé participe activement à la curée où plusieurs insurgés seront excommunié­s.

Certains rebelles sudcôtois se détachent du lot et ils poursuivro­nt leur combat aux États-Unis dans l’armée de George Washington, selon ce qu’a pu découvrir l’historien Gaston Deschênes. C’est le cas de Clément Gosselin. On pense qu’il se serait joint aux insurgés des Treize Colonies dès l’automne 1775 et qu’il aurait participé à l’attaque de Québec. Il sera des plus actifs dans le recrutemen­t de volontaire­s, « prêchant la rébelion partout, excitant à piller le petit nombre des zélés serviteurs du Roy et à les faire arrêter ». Il sera emprisonné puis réussira à s’enfuir. Il sera chargé, par Washington, de missions d’espionnage en vue de préparer une nouvelle opération militaire au Canada, appuyée par la France. Lafayette l’enverra également en mission d’espionnage. Plusieurs autres Canadiens se sont illustrés, comme Pierre Ayotte, Michel Arbour, les frères Julien et Noël Bélanger, Joseph Labbé, etc., dont Deschênes nous raconte brièvement les faits d’armes.

« Que serait devenu notre peuple, en cas d’une alliance des Canadiens avec les Américains, dans une lutte commune pour la liberté, nous n’en savons rien, nous n’en saurons jamais rien », soulignera Jean-Charles Harvey dans son roman Les demi-civilisés, en 1934.

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UN PAYS REBELLE/LA CÔTEDU-SUD ET LA GUERRE DE L’INDÉPENDAN­CE AMÉRICAINE Gaston Deschênes Édition Septentrio­n
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