Le Journal de Montreal - Weekend
JUSQU’OÙ PEUT MENER UN VIADUC
ROMANS D’ICI À part un viaduc, il n’y a pas de point commun entre la romancière Mia Clark et l’historique directeur du CP, William Van Horne. Léa Arthemise les imbrique pourtant avec virtuosité.
La prémisse du roman Un grondement féroce est audacieuse. À l’été 2020, un attroupement se forme sur le viaduc Van Horne, qui relie les arrondissements de Rosemont et d’Outremont à Montréal. Le portefeuille de la romancière Mia Clark, mystérieusement disparue, vient d’être retrouvé dans un sac qui bloque la voie ferrée.
C’est le prétexte pour revenir loin en arrière, à William Van Horne lui-même. L’homme a autrefois dirigé le Canadien Pacifique et a compté au nombre des richissimes qui, à la fin du 19e siècle, ont habité le Mille carré doré à Montréal.
DEUX PERSONNAGES
Mais pour le moment, William n’est pas encore le personnage qui veilla à compléter le chemin de fer canadien jusqu’en Colombie-Britannique et qui laissa derrière lui d’impressionnantes collections d’oeuvres d’art et de fossiles. Il est un adolescent de 13 ans qui se fait renvoyer de l’école.
On va le suivre jusqu’à sa mort, parallèlement à la vie de Mia Clark telle que relatée par la narratrice qui, dit-elle, fut sa collègue de travail et à qui la romancière a demandé de rédiger sa biographie.
Les liens entre des êtres aussi différents se tissent grâce à la médiation de la narratrice. « Je voudrais te parler, William, des circonstances dans lesquelles j’ai rencontré Mia. » - et les coïncidences de leurs trajectoires, toutes en courbes inattendues. Sans oublier leur talent d’inventer pour changer le cours des choses. « Tu es un illusionniste, William. » Il n’est pas le seul dans ce curieux récit.
Après tout, Mia est écrivaine et son premier roman - titré Un grondement féroce ! — a connu un immense succès. Elle s’est néanmoins tenue à l’écart des médias, d’une discrétion aussi exemplaire que celle de la narratrice, une Française installée depuis peu à Montréal — à l’instar de Léa Arthemise elle-même.
JEU DE MIROIRS
Il y a donc tout un jeu de miroirs dans ce roman. Il désoriente le lecteur, ce qu’accentue le ton employé, moitié confession, moitié cachette. Par exemple, la narratrice relate un entretien avec Mia, puis ajoute : « Aujourd’hui, je peux confirmer qu’elle me semblait sur le qui-vive. »
Arthemise nous tient bien en haleine. Que cherche la narratrice ? Qui est le conjoint de Mia ? Où donc celle-ci s’est-elle envolée ? Et comment l’Américain William Van Horne aboutira-t-il au Canada pour en marquer l’histoire ?
L’autrice a par ailleurs le souci du détail et on se promène entre les siècles comme si on y était en vrai. Il ne manque pourtant pas d’esbroufe dans la vie de William, de Mia et de la narratrice : du bluff et du mensonge lancés avec aplomb. Comme le dit la narratrice : « Je suis une professionnelle, William, je sais raconter des histoires. »
Même les policiers n’y voient que du feu. Et nous donc ! Aussi original que brillant.