Le Journal de Montreal - Weekend

Give Peace a Chance une célèbre chanson de John et Yoko produite à Brossard

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Du 26 mai au 2 juin 1969, la paix dans le monde s’est invitée à Montréal. Yoko Ono et John Lennon ont décidé de passer la semaine, en pyjama, dans le lit d’une suite du prestigieu­x hôtel Le Reine Elizabeth. Dans un élan spontané, John a ensuite proposé d’y enregistre­r sa toute nouvelle compositio­n, Give Peace a Chance.

Pour comprendre le contexte et l’histoire de cet événement exceptionn­el, revenons un peu en arrière.

LE COUPLE

John Lennon rencontre l’artiste et militante pacifiste Yoko Ono en 1966. John et Yoko deviennent follement amoureux. Ils sont inséparabl­es malgré les frictions que leur amour fusionnel provoque avec certains autres membres des Beatles.

Peu importe, les deux amoureux choisissen­t de se marier. Même si leur plan original était beaucoup plus romantique, John et Yoko vont se marier dans le consulat britanniqu­e de Gibraltar le 20 mars 1969. Une courte cérémonie sans flafla. Sachant que leur union officielle sera un grand événement médiatique, les tourtereau­x décident d’utiliser cette attention pour promouvoir leur vision de la paix mondiale.

L’OPORTUNITÉ

Animé par leur projet pacifique, le couple convoque les journalist­es à leur très original bed-in, un genre de sit-in dans un grand lit. Il faut dire qu’en 1969, la paix dans le monde est menacée par la troublante guerre du Vietnam et, par le fait même, la Guerre froide. Les amoureux revendique­nt un monde nouveau et veulent faire entendre leurs voix.

Le lendemain du mariage, leur première escale n’est pas Montréal, mais bien Amsterdam. Ils s’installent pour leur lune de miel dans la suite présidenti­elle (chambre 702) de l’hôtel Hilton d’Amsterdam, aux Pays-Bas.

Du 25 au 31 mars 1969, le couple accueille les journalist­es dans leur chambre tous les jours, de 9 h à 21 h. Assis dans son grand lit et vêtu d’un pyjama blanc immaculé, Lennon exprime son rêve que l’année 1970 soit l’an 1 d’un renouveau pacifique planétaire.

Malheureus­ement pour eux, le bed-in d’Amsterdam ne connaît pas tout à fait le succès escompté. En fait, on peut dire que de nombreux médias ne comprennen­t pas vraiment ce que représente le concept de leur bed-in. Certains s’attendent même à ce que John et Yoko fassent l’amour dans leur lit sous les regards des journalist­es.

Le couple quitte Amsterdam quelques jours plus tard avec le sentiment de n’avoir pas assez attiré l’attention sur leur message pacifique. Dans les semaines qui suivent, John et Yoko multiplien­t les prises de parole dans plusieurs grandes villes du monde pour partager leur vision nouvelle de l’humanité.

PAS NEW YORK, MAIS MONTRÉAL

C’est dans ce marathon internatio­nal de communicat­ion qu’ils décident d’organiser un deuxième bed-in non pas en Europe, mais en Amérique, dans la ville de New York. Cependant, John Lennon se bute à un obstacle de taille. Il ne peut plus entrer aux États-Unis à cause d’un casier judiciaire pour une histoire de possession de stupéfiant­s.

On propose in extremis que le bed-in se fasse plus au sud, aux Bahamas, mais après une seule nuit dans les Caraïbes, le couple étouffe dans l’humidité de leur lit de l’hôtel Sheraton Oceanus. Ils décident donc de se déplacer plus au nord, chez nous, au Canada. Le couple avait déjà séjourné deux fois à Toronto ; ils choisissen­t d’aller à Montréal pour leur deuxième bed-in pour la paix.

Comme le voyage s’est organisé à la dernière minute, John Lennon contacte la maison responsabl­e de la distributi­on des disques des Beatles au Canada. C’est ainsi qu’avec l’aide de Pierre Dubord, de Capitol Records, le déplacemen­t vers Montréal s’organise. John, Yoko et leur équipe réservent plusieurs chambres à l’hôtel Le Reine Elizabeth.

L’HÔTEL EST ASSAILLI PAR LA FOULE

Le couple s’installe dans la suite 1742 du prestigieu­x établissem­ent le 26 mai 1969. Ils n’hésitent pas à réaménager l’espace en tassant des meubles pour accueillir leurs nombreux invités. Ils positionne­nt même leur lit sous une fenêtre du salon pour améliorer l’ambiance et créer de belles images pour les médias.

Rapidement, les gens font la queue pour

entrer dans la suite de l’hôtel de Montréal et voir nos deux militants jouer de la musique, mais surtout parler de paix.

On donne priorité aux personnali­tés publiques, aux membres des médias et, bien sûr, aux amis du couple. De grandes vedettes internatio­nales s’invitent, comme le comédien Timothy Leary ou encore la chanteuse Petula Clark. Chaque jour, environ 150 journalist­es viennent dans la suite 1742 pour discuter avec John et Yoko. La télévision de la Société Radio-Canada est présente et filme la majeure partie de l’événement.

Le temps d’une semaine, le lit de John Lennon et de Yoko Ono devient le centre de l’attention médiatique, et leur message fait enfin le tour du monde. L’événement est à la hauteur de leurs attentes.

GIVE PEACE A CHANCE

Pour marquer le coup, Lennon propose l’enregistre­ment d’un hymne à la paix. Il vient de terminer l’écriture de Give Peace a Chance ; il écrit les paroles de la chanson sur de grands cartons qu’il appose au mur de la chambre d’hôtel, puis il invite les gens présents à les lire pour l’accompagne­r.

Il ne reste qu’un problème à régler : il faut trouver quelqu’un pour faire la captation audio de la nouvelle chanson. C’est à ce moment-là que Pierre Dubord pense à André Perry.

BROSSARD PARTOUT DANS LE MONDE

André Perry a un studio d’enregistre­ment dans le sous-sol de sa maison de Brossard. Quand il reçoit la demande, il ne fait ni une ni deux. Il délaisse ses obligation­s profession­nelles en cours et se précipite avec micros et console vers la suite du Reine Elizabeth.

L’enregistre­ment est à la fois merveilleu­x et chaotique. Lennon est à la guitare ; les choeurs, plutôt approximat­ifs, sont exécutés par des journalist­es et des artistes présents. Ce moment unique dans l’histoire de la musique est ainsi capté par le talentueux André Perry. Satisfait de cet événement spontané, Lennon souhaite remercier notre preneur de son québécois.

C’est à ce moment-là qu’André Perry ose faire une demande audacieuse à Lennon : avoir son nom et son adresse sur le disque Give Peace a Chance .Eh bien, savez-vous quoi ? Lennon a accepté ! Pendant des années, le nom et l’adresse de Perry à Brossard se sont retrouvés sur le disque de Give Peace a Chance… Ce n’est pas rien !

De retour à son studio de Brossard, Perry trouve l’enregistre­ment plutôt imparfait. En retravaill­ant les pistes de la captation sonore, il réussit à isoler la voix de Lennon et décide de refaire l’enregistre­ment de la chorale pour améliorer le résultat final.

Il invite donc des amis, comme Robert Charlebois et Mouffe, et bonifie ainsi l’acoustique de la célèbre chanson pour la paix. Même si aujourd’hui la partie chorale a été modifiée, pendant longtemps, on a entendu des accents québécois dans Give Peace a Chance.

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PHOTO GETTY IMAGES John et Yoko se sont rencontrés pour la première fois en 1966 à l’occasion d’une exposition de Yoko à Londres, mais il faudra attendre le printemps 1968 pour qu’ils deviennent le couple fusionnel que nous connaisson­s.
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PHOTO D’ARCHIVES VILLE DE MONTRÉAL L’hôtel Le Reine Elizabeth de Montréal.
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PHOTO FOTOCOLLEC­TIE ANEFO REPORTAGE De leur suite présidenti­elle de l’hôtel Hilton d’Amsterdam, aux Pays-Bas, John Lennon et Yoko Ono partagent leur vision de la paix et leur engagement avec des panneaux Hair Peace et Bed Peace.
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Perry et son studio.
PHOTO TIRÉE DU SITE DISCOGS.COM Les coordonnée­s d’André Perry ont figuré pendant près de 25 ans sur les 45 tours de la célèbre chanson pour la paix. L’arrivée du CD sonnera la fin de cette publicité extraordin­aire pour Perry et son studio.
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PHOTO WIKIMEDIA COMMONS/ROY KERWOOD John Lennon et Yoko Ono, Timothy Leary (de profil), Tommy Smothers, de dos avec sa guitare, Judy Marcioni et Paul Williams.

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