Le Journal de Montreal - Weekend

La clause dérogatoir­e dans la Charte canadienne servait à contrer la loi 101

- FRÉDÉRIC BASTIEN Historien et chroniqueu­r Collaborat­ion spéciale

Après sa victoire au référendum de 1980, Pierre Trudeau lance le processus de renouvelle­ment constituti­onnel. Il veut en profiter pour insérer une charte dans la constituti­on. Pourquoi ? Un de ses objectifs était de promouvoir le multicultu­ralisme. Le but principal, toutefois, était de stopper la francisati­on du Québec entreprise avec la loi 22 de Robert Bourassa et poursuivie avec la loi 101 de René Lévesque.

Pierre Trudeau voulait faire du Canada un pays bilingue au sein duquel le Québec cesserait d’incarner la nation canadienne-française. Ce bilinguism­e devait s’appuyer entre autres sur la possibilit­é pour les parents de faire éduquer leurs enfants dans la langue de leur choix. Toutes les provinces seraient ainsi bilingues, égales, et le Québec ne parlerait plus au nom des francophon­es.

Le premier ministre butait sur le fait que l’éducation était une compétence provincial­e. Le Québec avait restreint l’accès aux écoles anglaises et Ottawa ne pouvait forcer les provinces anglophone­s à construire des écoles françaises.

Le père de Justin voulait donc une charte pour y inclure de nouveaux droits de l’homme inventés de toutes pièces : le droit fondamenta­l d’aller à l’école anglaise au Québec et française dans le « Rest of Canada ». Ottawa donnerait ainsi aux juges qu’il nommait un nouveau pouvoir, celui d’invalider des lois dans le champ de compétence provincial exclusif en vertu de la charte. Avant 1982, ce genre d’invalidati­on ne pouvait se faire qu’en fonction du partage des pouvoirs. La loi 101 était directemen­t menacée.

En parallèle, sept provinces anglophone­s s’opposaient à la charte, tandis que l’Ontario et le Nouveau-Brunswick l’appuyaient. Les opposants craignaien­t que les juges fédéraux obtiennent trop de pouvoir. La souveraine­té parlementa­ire, c’est-à-dire le pouvoir exclusif des élus de faire ou défaire toutes les lois, était menacée. Plusieurs craignaien­t l’impact de la charte sur le droit criminel. Celle-ci allait aider des bandits à se faire innocenter plus facilement.

En résumé, la charte de Trudeau allait trop loin. En novembre 1981, celui-ci a réalisé qu’il devait lâcher du lest. Il a donc accepté une clause dérogatoir­e. Elle permet aux élus de protéger une loi qui serait invalidée par les juges en vertu de la charte. Renouvelab­le à tous les cinq ans, la clause nonobstant ne s’applique toutefois pas aux « droits » en éducation anglaise et française. Cela gardait la porte ouverte à l’invalidati­on de la loi 101, comme le souhaitait mordicus Trudeau. C’est notamment ce qui a mené au refus du Québec.

Ayant ainsi sauvé l’essentiel à ses yeux, Pierre Trudeau a donc défendu la clause dérogatoir­e. Celle-ci permettrai­t, disait-il, de maintenir par exemple la légalité de l’avortement si les tribunaux décidaient d’en interdire la pratique.

LA CLAUSE MAUDITE

Le gouverneme­nt Lévesque a tout de suite invoqué la clause dérogatoir­e, ce qui n’a pas permis de protéger certaines dispositio­ns de la loi 101 touchant l’accès à l’école anglaise. En 1988, Robert Bourassa a utilisé la clause dérogatoir­e pour protéger les clauses de la loi sur l’affichage unilingue français.

Trudeau a alors lancé une fatwa contre l’accord du lac Meech, signé en 1987, et qui reconnaiss­ait le Québec comme société distincte. L’utilisatio­n de la clause dérogatoir­e montrait que les Québécois bafouaient les droits et libertés. La situation allait être pire si Meech était adopté, ce qui ne s’est évidemment pas produit après une virulente campagne de dénigremen­t des trudeauist­es.

Le Québec, qui n’avait pas adhéré à la Constituti­on de 1982, était coupable d’utiliser une clause insérée dans celleci à la demande des provinces anglophone­s ! Ce crime était d’autant plus grave qu’il souhaitait ainsi défendre son existence comme nation.

Aujourd’hui, 80 % des Canadiens anglais sont opposés à l’usage de la clause dérogatoir­e pour protéger la loi 96. C’est bien sûr ce qui explique la manoeuvre du gouverneme­nt Trudeau devant la Cour suprême. Encore une fois, la minorité nationale québécoise est mise au banc des accusés… même si elle respecte les règles du régime qu’on lui a imposé !

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PHOTO D’ARCHIVES Près de 32 000 personnes étaient réunies à Ottawa lorsque la reine Elizabeth II a signé la proclamati­on royale de la Constituti­on, en avril 1982, aux côtés du premier ministre Pierre Elliot Trudeau.
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LES ARCHIVES / JOURNAL DE MONTRÉAL ?? Des Québécois manifesten­t en soutien à la loi 101, en décembre 1988.
PHOTO JACQUES BOURDON / LES ARCHIVES / JOURNAL DE MONTRÉAL Des Québécois manifesten­t en soutien à la loi 101, en décembre 1988.
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PHOTO WIKIMEDIA COMMONS/TAXIARCHOS­228 Cour suprême du Canada
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Robert Bourassa
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