Le Journal de Montreal - Weekend
1990, COMME SI ON Y ÉTAIT
Voyage dans le temps, voyage en chansons, voyage dans les coeurs : Julie Bosman revisite avec attention la décennie 1990.
Celles et ceux qui ont connu l’époque raviveront sans peine leurs souvenirs en lisant Pour que demain s’empare de nous. Mais les plus jeunes trouveront aussi leur compte à suivre un trio de gens de 20 ans qui cherchent leurs repères alors que l’an 2000, un nouveau millénaire !, se pointe à l’horizon.
Le roman s’ouvre en 1998, histoire de présenter à tour de rôle Julie, Laurent et Mélanie. Chacun dans son coin a des décisions à prendre. « Ça doit pas être si compliqué » est leur leitmotiv commun. Pourtant leur vie n’a jamais été simple.
S’entame ainsi le retour en arrière, à 1989, au moment où ces amis se rencontrent. Puis les années se succéderont, de chapitre en chapitre.
VIVRE L’HISTOIRE
A priori, le récit de Julie Bosman n’est guère différent des romans où la jeunesse est synonyme de mal de vivre : quête de soi, quête de sens, trop de drogues, d’alcool, de baises… Que le récit se situe en 1990 ou aujourd’hui, la recette est courante dans la fiction québécoise.
Là où l’ouvrage se distingue, c’est l’intéressante utilisation que fait l’autrice de l’actualité de ces années-là. Celle-ci sert d’appui au récit et permet à celles et ceux qui n’y étaient pas de vivre l’histoire plutôt que de l’observer. Rien de détaché ici, tout est incarné.
Un exemple, tout simple : l’espoir d’un monde qui change pour le mieux était grand au moment de la chute du mur de Berlin en novembre 1989. Bosman rend ce sentiment d’exaltation en envoyant Laurent sur un toit de Montréal, avec l’air d’Aquarius dans les oreilles. « Oui, l’amour, l’harmonie, la liberté. »
TOUT EN MUSIQUE
C’est d’ailleurs l’autre grand atout de ce roman : il est indissociable de la culture de l’époque. En fin d’ouvrage, Julie Bosman décline la trame sonore qui l’accompagne — de Plume à Daniel Bélanger, en passant par Bérurier Noir, Patti Smith ou Depeche Mode. Elle y ajoute les livres, les films, les émissions, les médias qui l’ont nourrie.
Tout ceci colore le quotidien des protagonistes. Quand Julie avorte en 1991, bien sûr qu’elle a une pensée pour Chantal Daigle qui, deux ans plus tôt, avait défié la justice en allant se faire avorter aux États-Unis. Une décision personnelle qui allait bénéficier à toutes les Canadiennes. De même, la force de Mélanie se transformera en militance après la tuerie de Polytechnique.
Au rappel des grands événements, Bosman jouxte des faits divers recueillis par Laurent, « collectionneur de curiosités ». Ces gestes étranges ou qui ont mal tourné renvoient à la vie du trio, qui a à son actif tout un lot de choix douteux.
Est-ce que le passage à l’an 2000, moment attendu depuis des années par toute l’humanité, calmera les angoisses ? Collectivement, nous savons aujourd’hui que non ; pour les personnages, cela semble douteux. Mais au final, l’amitié reste un grand réconfort.