Le Journal de Montreal - Weekend

Goose Village, un petit quartier détruit pour faire place à la « modernité »

- MARTIN LANDRY Historien, Montréal en Histoires Collaborat­ion spéciale

Pendant la période de la Révolution tranquille, le Québec a un immense besoin de se réinventer, et ce, à la vitesse grand V. À Montréal, ce désir de faire différemme­nt viendra entre autres avec la destructio­n de plusieurs quartiers populaires pour faire place à la « modernité ».

C’est dans cet esprit de modernisat­ion qu’en 1964, un petit quartier du sudouest montréalai­s, Goose Village, va disparaîtr­e dans une indifféren­ce déconcerta­nte. Dans cette partie de Montréal où habitaient des milliers de personnes, on a anéanti un patrimoine important pour installer des infrastruc­tures en vue de l’arrivée de millions de visiteurs à l’exposition universell­e de 1967. Pour découvrir les origines de ce petit quartier tricoté serré et comprendre le contexte de sa destructio­n, il faut remonter le temps jusqu’aux origines de sa création.

TYPHUS COMME PREMIER ANCRAGE

La maladie du typhus était connue au Canada depuis longtemps, mais c’est en 1847 qu’elle a frappé avec une intensité qu’on ne lui avait jamais connue. Cette maladie meurtrière provoque dans ses premiers symptômes une forte fièvre, de terribles maux de tête et de douloureus­es éruptions cutanées.

Cette infection contagieus­e pouvait tuer en seulement trois jours, car il n’existait aucun remède efficace à l’époque pour la combattre.

Au milieu du XIXe siècle, les Irlandais subissent une grande famine et pour survivre, ils quittent massivemen­t leur pays pour venir s’installer en Amérique (1845-1852). Des milliers d’immigrants irlandais arrivent au Canada dans des navires qu’on a tristement rebaptisés les « bateaux cercueils ». Avant de débarquer sur la terre ferme, ils doivent toutefois faire une escale obligatoir­e à Grosse-Île. Sur l’île, un médecin s’assure qu’ils ne sont pas infectés d’une maladie quelconque. Ceux qui montrent des symptômes doivent demeurer en quarantain­e à Grosse-Île.

Au printemps 1847, des dizaines de milliers d’Irlandais atteints du typhus ont séjourné sur l’île, mais évidemment, des centaines d’autres porteurs non détectés de la maladie se sont retrouvés sur la terre ferme. Il faut dire que l’incubation de la maladie peut prendre entre une à deux semaines.

Ainsi, quand ces pauvres immigrants ont commencé à ressentir des symptômes, il était déjà trop tard. Un nombre inquiétant de gens infectés étaient passés par Montréal.

La même année, le fléau frappe de plein fouet la métropole. Le maire de Montréal, John Easton Mills, doit légiférer de toute urgence pour amoindrir l’impact de l’épidémie qui menace sa ville. Un de ses moyens est de construire des baraquemen­ts pour isoler les malades dans une zone de quarantain­e dans le sud-ouest de l’île. Où se trouvaient ces baraquemen­ts ? Bien oui, à Goose Village, aussi appelé Villageaux-Oies. Les nouveaux arrivants ainsi que les autres malades y sont confinés. Malgré toutes les mesures mises en place, et surtout les soins prodigués par les courageuse­s Soeurs grises, le typhus se répand dans la ville. Même le maire Mills sera infecté et perdra la vie.

Finalement, après avoir fait des milliers de morts et nombre d’orphelins, l’épidémie se résorbe doucement à la fin du printemps 1848. Pendant que Montréal panse ses plaies, un ambitieux projet de constructi­on vient dynamiser le quartier Goose Village.

LA HUITIÈME MERVEILLE DU MONDE

Depuis l’arrivée du chemin de fer, on rêve de relier l’île de Montréal à l’ensemble de l’Amérique du Nord par un lien ferroviair­e. C’est dans ce contexte qu’on va imaginer, dessiner et construire le pont Victoria ; un travail à haut risque pour l’époque. Jamais on n’avait réali

sé dans l’histoire un ouvrage aussi long. On parle d’un pont de presque trois kilomètres qui doit enjamber un grand fleuve ! Notre pont Victoria, le plus long de la planète à l’époque, sera construit grâce au labeur de près de 3000 ouvriers. Inauguré en grande pompe à l’été de 1860 par le fils de la reine Victoria, le pont sera acclamé par de nombreux observateu­rs d’un peu partout comme la huitième merveille du monde.

VICTORIATO­WN

La constructi­on du pont a évidemment attiré des milliers de travailleu­rs, souvent irlandais. Plusieurs s’établissen­t à proximité du chantier dans les baraquemen­ts de l’épidémie de typhus. Ces vétustes et malpropres cabanes se transforme­nt progressiv­ement en vraies maisons.

Ces nouvelles bâtisses donnent alors une première structure urbanisée à ce quartier rebaptisé tout naturellem­ent Victoriato­wn.

Parallèlem­ent à la constructi­on de pont, les ateliers de la compagnie de chemin de fer du Grand Tronc s’installent à proximité. On procède à l’embauche des centaines de travailleu­rs. Évidemment, ces emplois attirent encore plus de familles dans Victoriato­wn, un secteur bien positionné, au carrefour du transport ferroviair­e et maritime.

PATRIMOINE ANÉANTI

Le quartier populaire est bien situé, il est au coeur du développem­ent industriel du pays, c’est pourquoi il attire de plus en plus de nouveaux arrivants.

Des immigrants viennent d’un peu partout en Europe, mais surtout de l’Italie. Placé au centre du sud-ouest de l’île, ce quartier ouvrier multiethni­que a vibré aux sons des rires d’enfants et de l’effervesce­nce des familles nombreuses pendant près d’une décennie.

Au milieu des années 1950, un ambitieux plan de réaménagem­ent cible treize zones urbaines montréalai­ses, dont le secteur géolocalis­é dans le quadrilatè­re des rues Mill, Bridge et l’emplacemen­t actuel de l’autoroute Bonaventur­e.

Encouragée par la planificat­ion de l’Expo 67, l’administra­tion municipale du maire Jean Drapeau vote, en 1962, une loi d’expropriat­ion touchant les 305 familles du quartier Victoriato­wn.

En 1964, la partie habitée du quartier, où vivent plus de 1500 personnes, perd son milieu de vie.

Le secteur est définitive­ment démoli pour laisser la place à l’autoroute Bonaventur­e et à la résidence des Alouettes, l’Autostade.

En quelques coups de pelles des démolisseu­rs, ce petit quartier tricoté serré d’à peine six rues, Goose Village puis Victoriato­wn, a disparu à jamais.

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Si les citoyens d’origine irlandaise sont nombreux dans Victoriato­wn, les Italiens ont aussi occupé ce quartier bien avant de s’installer dans celui de la Petite Italie.
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PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD Le Grand Tronc, qui deviendra le Canadien National, possédait une énorme gare de triage et ses ateliers pour l’entretien et la réparation de son matériel ferroviair­e dans le secteur de Goose Village.
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9 à 12 ans. On dénombre jugé très bas constructi­on, un chiffre par les autorités à l’époque.
pont qui construise­nt le Parmi les milliers d’ouvriers de de jeunes manoeuvres Victoria, on retrouve 26 morts durant la 9 à 12 ans. On dénombre jugé très bas constructi­on, un chiffre par les autorités à l’époque.
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 ?? PHOTOS FOURNIES PAR ARCHIVES VILLE DE MONTRÉAL ?? Victoriato­wn devient un quartier familial modeste dans lequel on trouve une riche vie sociale
PHOTOS FOURNIES PAR ARCHIVES VILLE DE MONTRÉAL Victoriato­wn devient un quartier familial modeste dans lequel on trouve une riche vie sociale
 ?? PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD ?? Pour éviter que les immigrants infectés ne s’entassent sur les quais, on redirige les malades dans des baraques à deux pas du lieu autrefois occupé par les travailleu­rs du canal de Lachine.
PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD Pour éviter que les immigrants infectés ne s’entassent sur les quais, on redirige les malades dans des baraques à deux pas du lieu autrefois occupé par les travailleu­rs du canal de Lachine.
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