Le Journal de Montreal - Weekend
Le premier ministre Bennett finançait le leader fasciste Adrien Arcand
On s’étonne qu’un individu comme Donald Trump, qui encore récemment a fait l’éloge de Poutine et d’autres dictateurs sur Fox News, ait été élu président des États-Unis. Deux premiers ministres canadiens, au pouvoir lors de la montée d’Hitler, sympathisaient avec le führer ou collaboraient avec les nazis et les fascistes canadiens : Mackenzie King chez les libéraux et R.B. Bennett chez les conservateurs.
C’est avec un plaisir malsain que les commentateurs du Canada anglais se délectent à associer le leader nazi canadien d’avant-guerre Adrien Arcand au nationalisme québécois.
C’est diffamer le personnage. Adrien Arcand était un anglophile, ardent défenseur d’un Canada uni. Les nazis canadiens commençaient leurs assemblées en faisant le salut hitlérien et en jurant fidélité à la Couronne britannique.
Comme je l’ai montré dans Le livre noir du Canada anglais en me fondant sur des documents d’archives*, Arcand était secrètement financé par le premier ministre R. B. Bennett, un homme d’une richesse considérable.
Aux élections fédérales de 1930, les conservateurs fédéraux pensent avoir des chances de battre les libéraux de Mackenzie King au pouvoir, à condition d’augmenter considérablement leurs sièges au Québec, où ils portent l’odieux de la pendaison de Riel et de la conscription de la Première Guerre mondiale. Depuis près de 20 ans, aucun francophone conservateur n’avait été élu à la Chambre des communes.
Bennett demande donc à son lieutenant du Québec, le sénateur Joseph-H. Rainville, de proposer à Adrien Arcand de financer secrètement ses publications antisémites Le Miroir et Le Goglu ainsi que son mouvement, pour qu’ils soutiennent les conservateurs. On leur promet des sommes considérables si le Parti conservateur gagne plus de 12 sièges au Québec.
LE PREMIER MINISTRE BENNETT A REÇU LE LEADER FASCISTE À OTTAWA
Une lettre d’Arcand à Bennett datée du 22 mai 1930 indique que les deux hommes se sont déjà rencontrés pour que le leader nazi expose son plan pour la campagne électorale. Les journaux d’Arcand, des véhicules de propagande de haine raciale antijuive, font une vigoureuse campagne en faveur des conservateurs, qui obtiennent la majorité à l’élection du 28 juillet 1930. Ils font élire 137 députés, dont 24 au Québec et, parmi ceux-ci, 16 francophones.
C’est davantage la crise économique de 1929 qu’Adrien Arcand qui explique la défaite des libéraux. Mais au Québec, les conservateurs lui attribuent leur succès. Ses journaux ont pratiquement été les seuls à les soutenir.
Le 14 janvier 1931, Arcand et son second, Joseph Ménard, écrivent à Bennett pour se plaindre que le sénateur Rainville, qui leur avait promis 25 000 $ si les conservateurs gagnaient plus de 12 sièges au Québec, ne respectait pas ses engagements.
Le 28 janvier 1931, Arcand et Ménard réclament donc 52 000 $ pour avoir organisé pour le Parti conservateur 104 assemblées électorales qui, affirment-ils, ont attiré
400 000 personnes. En juillet 1931, ils vont rencontrer Bennett à Ottawa pour discuter du financement de leurs journaux en difficulté.
Le 4 janvier 1933, Arcand écrit au secrétaire particulier de Bennett pour lui dire que le représentant d’Hitler à Washington, Kurt Ludecke, aimerait vivement le rencontrer. Aucun document n’indique que la rencontre ait eu lieu.
MALGRÉ L’AIDE D’ARCAND, BENNETT ÉCHOUE AU QUÉBEC
À l’élection de 1935, Bennett et les conservateurs vont de nouveau confier à Arcand leur campagne au Québec. Avec son journal Le Fasciste canadien ,ilmène de virulentes attaques contre Mackenzie King, qui remporte la victoire avec 174 des 250 sièges des Communes. Les conservateurs ne garderont que cinq sièges au Québec. Arcand est battu comme candidat conservateur dans une circonscription de Montréal. En 1936, dans une lettre à Bennett, un organisateur conservateur estimera que le parti a versé au total
27 000 $ à Arcand durant la campagne.
Encore aujourd’hui, il reste de nombreuses zones d’ombre sur les liens entre les conservateurs fédéraux et Arcand. Ses archives d’avant-guerre saisies par la GRC lorsqu’il a été arrêté en 1940 ont disparu, alors qu’elles étaient en possession de la police fédérale.
La semaine prochaine, nous verrons que Mackenzie King, un individu troublé et irrationnel, était aussi un antisémite et un admirateur d’Adolf Hitler.
* La correspondance entre Arcand et Bennett se trouve dans le Fonds Bennett aux archives fédérales à Ottawa. Des photocopies existent également dans les archives du Congrès juif canadien à Montréal.