Le Journal de Montreal - Weekend

LA LIBIDO MAL CONTRÔLÉE

- DR FRANÇOIS RICHER Neuropsych­ologue et professeur à l’UQAM

Du harcèlemen­t à la violence sexuelle, l’hypersexua­lité est un problème de santé publique prioritair­e. Protéger les femmes et changer la culture qui favorise ces débordemen­ts sont des éléments essentiels, mais comprendre leur origine est aussi une priorité.

UN INSTINCT FACILE À SENSIBILIS­ER

Le désir mal contrôlé cause énormément de tort. Comme d’autres instincts (faim, peur, irritation), le désir sexuel peut devenir hypersensi­ble, soit par conditionn­ement, par apprentiss­age social ou par désinhibit­ion.

Notre désir et nos comporteme­nts de séduction sont influencés par des forces majeures comme le besoin d’amour, l’envie de plaire et le plaisir physique. Il est aussi influencé par les pressions sociales qui le répriment ou le favorisent. Les possibilit­és de dérapage du désir sont donc nombreuses.

LE DÉSIR EST LIÉ AU POUVOIR ET À L’INSÉCURITÉ

Les liens entre le désir et le pouvoir sont nombreux. Plaire est une source de satisfacti­on et de fierté, mais c’est aussi une source de statut et de pouvoir. Plaire est parfois utilisé pour compenser notre insécurité.

Plusieurs déclencheu­rs du désir sont acquis par nos expérience­s de jeunesse, mais aussi par les médias et la culture.

Les charmeurs sont encouragés par la fierté et le pouvoir que le succès social leur procure. Certaines personnes deviennent conditionn­ées à la satisfacti­on de la conquête même quand ils ont peu de désir. D’autres sont excités par l’idée de tricher ou de manipuler.

Les narcissiqu­es peuvent développer un comporteme­nt prédateur à cause de leurs lacunes d’empathie et de respect de l’autre. En plus, pour plusieurs personnes, le statut social est attirant, ce qui peut rendre la personne plus vulnérable et créer une dynamique d’abus.

Le statut social et le pouvoir augmentent le niveau de testostéro­ne, ce qui stimule les circuits cérébraux du désir chez l’homme et chez la femme.

Le désir peut aussi être hypersensi­bilisé par des augmentati­ons de dopamine cérébrale (succès, admiration). L’hypersexua­lité s’observe entre autres dans les troubles bipolaires en phase maniaque qui comportent entre autres un excès de dopamine.

LA DÉSINHIBIT­ION

Les excès du désir s’expriment surtout quand les freins que sont le jugement, le respect ou les inhibition­s sociales ne fonctionne­nt pas adéquateme­nt. Ces inhibition­s sont atténuées par l’alcool et d’autres substances. Elles sont aussi affectées par nos traits de personnali­té, dont l’impulsivit­é, l’insécurité ou le narcissism­e. Ces traits peuvent faire dévier le désir et la séduction saine vers des habitudes délinquant­es visant la manipulati­on de l’autre.

L’hypersensi­bilisation du désir favorise aussi l’objectific­ation. On peut être émoustillé à la vue d’une épaule ou d’une jambe dénudée après un long hiver. Certains deviennent hypersensi­bles à la transgress­ion et trouvent grisant de voir ce qui n’est pas autorisé (voyeurisme) ou d’être regardé (exhibition­nisme).

L’hypersexua­lité pathologiq­ue s’observe parfois quand les portions du cerveau qui représente­nt nos codes sociaux et moraux sont atteintes (commotions cérébrales, démences). Les circuits de régulation du désir peuvent bien sûr être faibles dès la naissance ou avoir été affaiblis par des expérience­s (abus, drogue…).

DÉVELOPPER LE RESPECT

Un assainisse­ment de la sexualité et des relations humaines passe bien sûr par une meilleure régulation sociale (codes de déontologi­e, traitement optimal des plaintes) et des campagnes d’éducation pour contrer l’incivilité, l’irrespect et l’abus de confiance. En outre, il est urgent de développer les compétence­s émotionnel­les et sociales à la maison, à l’école et au travail.

Tous gagneraien­t à mieux connaître le désir, ses influences et son contrôle pour lui donner une place plus saine dans les relations humaines.

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