Le Journal de Montreal - Weekend

UN SI BEAU PORTRAIT

À coups d’images fortes, bien ramassées, de celles qui saisissent un jeune enfant confronté au deuil, se dessine le visage d’une femme enfin sortie de l’ombre.

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Pierre-Luc Gagné évoque sa grandmère dans son roman Le jardin de la morte. On dit « évoquer », car il cherche moins à la raconter qu’à la dépeindre à petites touches, dans un style en continuité du recueil de poésie qui était son premier, et précédent, ouvrage.

Avec sa photo un peu floutée, placée à l’envers, la couverture du roman rend d’ailleurs bien l’univers auquel nous sommes conviés : à la frontière du réel et du souvenir rêvé.

La grand-maman du récit meurt alors que son petit-fils n’a que sept ans. Vingt ans plus tard, il résume le personnage en une jolie formule : « Mamie était guirlande de Noël. » Et il va s’arranger avec les moments qui n’auront pas pu exister : « Je t’admire encore, alors je t’inventerai un peu, juste assez. »

On le comprend d’entrée de jeu : ce roman est enrobé de tendresse.

L’enfance qui y est racontée n’est pourtant pas facile. On est à Rimouski, une ville que Gagné ramasse en quelques mots, loin des guides touristiqu­es.

Le père est parti (« un enfant-pluie d’un père coup de vent »), la mère fait de son mieux et trois tantes, les « tentacules », vont chacune chercher un morceau du petit garçon qu’elles couvrent de leurs attentions.

Ce sont des femmes qui boivent aussi, comme Bernard Émond a su mettre en scène au cinéma – or, le narrateur est fou de cinéma.

« J’ai longtemps vidé leurs verres dans le lavabo », écrit-il.

COMME UNE SORTIE DE SECOURS

La grand-mère apparaît comme une sortie de secours dans ce portrait. Elle est là depuis les tout débuts, comme le prouve le film familial du baptême du narrateur. Elle saura ensuite laisser vivre un petit homme entouré de trop de femmes adultes, mais pas à l’aise non plus avec les autres enfants.

Elle-même n’aura pas manqué d’épreuves dans sa vie : un mari guère attentif, un monde où on cherche des « pissenlits pour illuminer la maison », des enfants morts prématurém­ent, et parmi ceux qui restent, quatre filles « singulière­s et intenses ».

Ces filles ne laissent guère respirer leur mère. Décidément, ni la société, ni l’époux, ni la progénitur­e n’encouragea­ient l’autonomie des femmes nées dans les années 1930 !

Le petit-fils narrateur arrive pourtant à saisir l’intime de cette femme ordinaire, qui aime l’art et sait rire. On est séduit par la délicatess­e avec laquelle il s’y prend pour la raconter – ce qui inclut le moment de la crémation quand la mort sera passée.

Le jardin de la morte est un roman très court, ponctué de citations tirées de chansons et d’ouvrages en français – fait à souligner tant la fiction québécoise contempora­ine est victime d’anglophili­e. Cette brièveté invite à la relecture. Ce jardin est si riche d’odeurs que le parcourir une fois ne peut suffire.

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112 pages 2023
LE JARDIN DE LA MORTE Pierre-Luc Gagné Hamac 112 pages 2023
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