Le Journal de Montreal - Weekend

De l’importance de la voix des Québécois au référendum de 1942

- FRÉDÉRIC BASTIEN Historien et chroniqueu­r Collaborat­ion spéciale

C’est le 27 avril 1942 qu’a eu lieu le plébiscite sur la conscripti­on, soit un vote par oui ou par non sur le service militaire obligatoir­e. Au Canada anglais, 83 % de la population vote pour le oui. Les Québécois, eux, répondent non à 76 %. Cet épisode de division donne naissance au premier parti nationalis­te à Ottawa, le Bloc populaire.

L’affaire commence en janvier 1939. Mackenzie King prend comme engagement que le Canada sera aux côtés de la Grande-Bretagne en cas de guerre. Le 30 mars, il promet qu’il n’y aura pas de conscripti­on.

Le chef libéral cherche à éviter une nouvelle crise comme celle qui avait déchiré le pays en 1914-18 et divisé son parti. King était l’un des rares parmi les libéraux anglophone­s à être resté fidèle à Wilfrid Laurier, opposé à la conscripti­on. Les autres s’étaient joints aux conservate­urs de Borden pour appuyer l’enrôlement obligatoir­e.

L’APPUI DU QUÉBEC

King avait été battu dans son comté aux élections de 1917. Après la guerre, sa loyauté à Laurier lui a valu l’appui de l’aile québécoise du Parti libéral. Grâce à ce soutien, il devient chef et se met à rafler de grosses majorités au Québec. Le fait que King ait été le premier ministre qui s’est maintenu le plus longtemps au pouvoir dans notre histoire s’explique par cet appui québécois. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, King est donc guidé par une double préoccupat­ion : maintenir l’unité canadienne et celle de son parti.

Au Québec, c’est le ministre de la Justice Ernest Lapointe qui mène les choses. Il présente les libéraux comme « la muraille » contre la conscripti­on. Aux élections provincial­es de 1939, il met tout son poids derrière les rouges d’Adélard Godbout. Pour une rare fois de sa carrière, Maurice Duplessis subit une raclée. L’année suivante, les libéraux fédéraux sont réélus haut la main.

Pendant les deux premières années du conflit, le pays semble apaisé. La contributi­on des Québécois à l’effort de guerre est remarquabl­e. Ceux-ci achètent des bons de la victoire dans la même proportion que le reste du pays. Quelque 161 000 Canadiens français se portent volontaire­s pour aller se battre contre les nazis. Cela représente 20 % de l’effectif total, alors que les francophon­es représente­nt environ 30 % de la population totale. Cet enrôlement se fait même si, sur 28 centres de formation militaire, un seul est francophon­e et deux sont bilingues, sans compter la marine et l’aviation, qui sont unilingues à 100 %.

Les choses se gâtent à partir de la fin 1941 en raison du décès d’Ernest Lapointe, le lieutenant québécois de King. Celui-ci est alors soumis à une pression grandissan­te au Canada anglais pour imposer la conscripti­on, et ce, même si l’armée n’est impliquée dans aucune bataille d’envergure.

Le premier ministre organise alors le plébiscite d’avril 1942. Il demande aux Canadiens s’ils acceptent de le délivrer de sa promesse de ne pas imposer la conscripti­on. La division du pays, qui apparaît alors clairement lors du vote, surprend et effraie King. Le spectre d’une crise majeure se profile à l’horizon.

UN CHEF-D’OEUVRE D’AMBIVALENC­E

Le chef du gouverneme­nt décide alors d’appliquer les freins. Son nouveau slogan est un chef-d’oeuvre d’ambivalenc­e : « La conscripti­on si nécessaire… mais pas nécessaire­ment la conscripti­on » ! King maintient cette position pendant deux ans.

Les choses changent après le débarqueme­nt de Normandie, en juin 1944. L’armée essuie des pertes et il faut trouver des remplaçant­s. King fait face à une fronde à l’intérieur de son cabinet. Menés par James Ralston, titulaire de la Défense, les ministres anglophone­s réclament la mobilisati­on générale.

En novembre 1944, le premier ministre limoge James Ralston et le remplace par le général Andrew McNaughton, qui a la conviction qu’on peut encore recruter des soldats sans recourir à la conscripti­on. Au bout de quelques semaines, il s’avoue vaincu et jette la serviette. Mackenzie King se résout alors à imposer la conscripti­on.

Nous sommes à la fin de 1944. La défaite de l’Allemagne est proche. Ce ne seront donc que 12 908 hommes qui seront conscrits, dont 2463 auront rejoint le front avant la défaite d’Hitler, en mai 1945.

Des élections ont lieu un mois plus tard. Les libéraux perdent des plumes, mais ils sont tout de même réélus. Au Québec, le Bloc populaire mené par André Laurendeau ne fait élire que deux députés. Les rouges raflent 47 des 65 sièges de la province.

King a remporté son pari. Il a gardé le pays uni et s’est maintenu au pouvoir !

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Mackenzie King et Wilfrid Laurier en 1912.
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PHOTO TIRÉE DE MUSÉE DE LA GUERRE NAC-PA- 107910 Manifestat­ion anti-conscripti­on au Québec
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Propagande électorale pour le non
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Ernest Lapointe
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