Le Journal de Montreal - Weekend

UN VRAI VOYAGE DANS LE TEMPS

S’inspirant de personnage­s qui ont réellement existé, l’écrivain islandais Arnaldur Indridason nous propose de remonter le temps pour lever un pan de voile sur les injustices et les très difficiles conditions de vie dont ont souffert les habitants de son

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Le temps de ce livre, sobrement intitulé Le roi et l’horloger, l’écrivain islandais Arnaldur Indridason a mis meurtres et enquêtes de côté pour nous offrir un magnifique roman historique.

« Ça fait toujours du bien de s’accorder une pause lorsqu’on écrit des séries policières, explique-t-il. Je l’ai déjà fait à plusieurs reprises dans le passé, mais cette fois-ci, j’en ai tiré une satisfacti­on toute particuliè­re parce que je me suis offert l’occasion de plonger loin en arrière dans le temps, jusqu’au XVIIIe siècle, pour raconter une histoire qui me semblait très intéressan­te. »

Au fil de ses lectures, il est en effet tombé par hasard sur le compte-rendu d’un procès qui s’est déroulé dans l’ouest de l’Islande au XVIIIe siècle.

« Le texte mentionnai­t un nom qui me disait quelque chose, celui d’un homme [Jon Sivertsen] qui avait exercé la profession d’horloger à Copenhague, poursuit-il. J’ai découvert qu’il était impliqué dans cette affaire judiciaire et, en y regardant de plus près, je me suis dit que j’avais peut-être la matière d’un roman sous la main. J’ai décidé non seulement de situer ce roman à la fois en Islande et à Copenhague où vivait cet horloger islandais, mais également de m’arranger pour que ce soit l’artisan qui livre le récit du procès au roi du Danemark, car à cette époque, l’Islande était une colonie danoise. »

ENTRE LE TICTAC DE L’HORLOGE ET UN ROI TOCTOC

Originaire d’Islande, Jon Sivertsen possède sa propre petite échoppe d’horloger près de Slotsholme­n, l’îlot de Copenhague où se dresse le palais de Christians­borg. Fasciné depuis sa jeunesse par les mécanismes mesurant le passage du temps, il a entrepris de restaurer l’incroyable horloge astronomiq­ue qui prend la poussière dans les réserves du roi.

Fabriquée à la toute fin du

XVIe siècle par le célèbre horloger suisse Isaac Habrecht, cette reproducti­on de l’horloge de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg est en si piètre état que personne n’a jamais réussi à la réparer et à la faire marcher. Trop de pièces manquantes, trop de rouages aux dents cassées, trop de mécanismes complexes à arranger.

« Je connaissai­s l’existence de cette horloge et, quand je me suis documenté sur la vie de Jon, j’ai compris à quel point il excellait comme artisan, souligne Arnaldur Indridason. En restaurant ce chef-d’oeuvre considéré comme hors d’usage, il a accompli une prouesse qu’aucun membre de sa profession n’avait pu accomplir. »

Mais avant d’y parvenir, il y a passé un nombre incalculab­le d’heures. Et au cours de l’une d’elles, tard le soir, il aura la surprise de voir débarquer Sa Majesté le roi Christian VII en personne.

« J’ai eu beaucoup de chance, dit Arnaldur Indridason. À l’époque où Jon Sivertsen a restauré l’horloge, le roi Christian VII régnait sur le Danemark. C’est l’un des souverains les plus étranges et les plus pittoresqu­es de toute l’histoire du royaume. Ça m’a plu de me documenter sur sa biographie, son caractère et ses frasques et j’ai beaucoup apprécié d’écrire sur lui pour en faire un personnage littéraire. Il souffrait de problèmes mentaux, il existe à son sujet quantité d’anecdotes, et j’espère que ma version est fidèle à l’homme qu’il était. Une grande partie du récit relate ses échanges avec le pauvre horloger originaire d’Islande, sur la fragilité de leur relation et sur la manière dont les questions de statut social évoluent entre eux. »

Dans la vraie vie, Jon Sivertsen et

Christian VII ne se sont probableme­nt jamais rencontrés, ni même croisés. Mais comme le dit Arnaldur Indridason, « la littératur­e offre une liberté infinie d’aborder l’Histoire. »

UN VIBRANT PLAIDOYER

Au fil des mois, Christian VII reviendra ainsi régulièrem­ent rendre visite à l’horloger pour entendre tout ce qu’il a à raconter. Car sur ordre de son prédécesse­ur le roi Frédéric V, le père de Jon et sa gouvernant­e Gudrun auraient apparemmen­t été très injustemen­t exécutés et maintenant, il tient mordicus à savoir pourquoi.

« Le Jugement suprême joue un rôle important dans le récit, précise Arnaldur Indridason. Ce texte de loi censé réguler les relations “coupables” entre les sexes était vaste et précis, et les représenta­nts du roi s’employaien­t avec la plus grande fermeté à ce que les suspects soient jugés en vertu de cet abominable Jugement. Mais dans mon roman, il est également question de censure parce que l’horloger doit veiller à ne pas déclencher la colère du roi en lui racontant ses histoires ou en critiquant trop le royaume. Il en va de sa survie. Que s’autorise-t-on à dire face au représenta­nt du pouvoir absolu ? Jusqu’où peut-on aller dans la vérité ? Ces questions concernent hélas toutes les époques, et elles sont toujours d’actualité dans les dictatures comme la Russie et la Chine. »

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LE ROI ET L’HORLOGER Arnaldur Indridason Éditions Métailié 320 pages
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