Le Journal de Montreal - Weekend
DONNER SA LANGUE AU CHAT
ROMANS D’ICI Le lieutenant Bonneau frappe encore ! Et à nouveau dans le mille, lui qui est pourtant le plus lourdaud personnage de tout l’univers des romans policiers québécois.
C’est devenu une curiosité de voir comment Jean-Louis Blanchard fera triompher un enquêteur aussi peu dégourdi que le Bonneau qu’il a inventé. Certes, son partenaire Lamouche et le reste de l’équipe (avec mention spéciale au lieutenant Pierre Lacoste !) font le gros du travail, mais le mot de la fin appartient à Bonneau.
Ce cadre établi, encore faut-il y poser une intrigue qui suscite la curiosité. Avec La constellation du chat, troisième enquête menée par son duo dépareillé, Blanchard relève encore une fois le défi.
Tout commence par l’assassinat d’un politicien controversé, Bruno Hébert-Sirois, dont la voiture a explosé alors qu’il sortait d’une conférence houleuse présentée dans un cégep.
D’autres meurtres suivront, touchant des personnalités fort différentes. Le seul point qui les relie est un curieux dessin trouvé sur les lieux de chaque crime : quelques traits évoquant le soleil, mais dont Bonneau persiste à dire qu’ils représentent un chat.
L’enquête s’enclenche donc à partir de ce très mince fil conducteur. Parallèlement, on suit le quotidien d’un jeune homme, Félix Paradis, visiblement perturbé et dont on devine qu’il a quelque chose à voir avec les événements. Mais quoi au juste, et pourquoi ?
Comme pour l’enquête, on le découvrira pas à pas. Ce rythme n’empêche pourtant pas les surprises de fin de chapitre qui donnent envie d’immédiatement passer au suivant. On a du mal à lâcher ce récit qui fait pourtant plus de 350 pages !
UNE ENQUÊTE SOLIDE
Blanchard nous retient d’autant mieux qu’il a trouvé le juste équilibre entre le ton facétieux qui sied au tandem et la minutie avec laquelle il déploie son enquête, aussi solide qu’un polar traditionnel.
Mieux encore, il n’y a pas de faille dans le scénario présenté. Par exemple, si l’auteur précise dans un chapitre qu’un déplacement a duré deux heures, cela correspond au moment exact où, plus tôt dans le roman, l’heure du départ était indiquée.
Or, tout lecteur qui cherche lui aussi des indices sait bien que les auteurs de romans policiers font souvent preuve d’inexactitude chronologique, géographique ou de légères incohérences dans leur propre récit. Avec Blanchard, on traquera en vain le détail qui cloche. Ceci ajoute à l’impression de participer soi-même à la résolution du mystère.
On apprécie aussi qu’il raffine son Bonneau, en lui prêtant un humanisme qui n’avait pas été mis en valeur jusqu’ici. Le policier a certes des a priori, mais il est sensible à la douleur humaine, ce qui donne lieu à une très belle scène où il tente de sauver un personnage attaqué gratuitement.
Le futé mais discret Lamouche est pour sa part toujours ravi que son partenaire prenne la lumière, au désespoir du grand patron de la police montréalaise qui rêve plutôt de s’en débarrasser. Hélas, les élus – même le président de la France ! – portent Bonneau aux nues. Et c’est délicieux d’ironie !