Le Journal de Montreal - Weekend

HOMMAGE AUX FEMMES, AUX MÈRES ET À LA RÉGION

Cinq questions à Erika Soucy, autrice des Perles

- EMMANUELLE PLANTE Collaborat­ion spéciale emmanuelle.plante @quebecorme­dia.com

On ne quitte jamais tout à fait le lieu d’où l’on vient. La preuve, la vie d’Erika Soucy à Portneuf-sur-Mer teinte une grande partie de sa jeune carrière. Comme autrice, elle nous a offert des recueils de poésie, du théâtre et le roman Les Murailles qui a connu une adaptation sur scène. Pour la télé, elle a prêté ses mots aux quatre premières saisons de Léo avant de faire le saut en solo avec Les perles, qui raconte le quotidien d’une mère monoparent­ale dans une petite ville de la Côte-Nord où la rumeur prend des proportion­s inattendue­s et où la survie est parfois un mode de vie. Une ode aux femmes fortes de sa vie et à une région d’où elle tire sa créativité.

À quel point était-ce important de camper Les perles sur la Côte-Nord ?

C’est une question de fierté. Ce petit village, tout le monde peut s’y reconnaîtr­e au Québec et même à l’internatio­nal. En étant très typique, on touche à l’universel. C’était ma façon de redonner aux gens de chez nous. Dans un village, il n’y a pas d’anonymat. Dès que quelque chose se passe, il y a un effet boule de neige. L’impact est souvent sur les femmes. Ma mère, après son divorce, ça placotait dans le village. C’est ma façon de rendre hommage. Je pense aussi que si on est fier d’où on vient, on va avoir le goût d’y rester. Si je n’étais pas née sur la Côte-Nord, je n’aurais pas la carrière que j’ai comme auteure.

La série débute sur un mensonge. En quoi est-ce un bon filon aussi dramatique que comique ?

Je ne suis vraiment pas bonne avec le mensonge. Dans l’identité régionale, on est très transparen­t. Alors dès que ça commence, tu te dis que tout va chier. Il y a l’adultère et il y a tous les petits mensonges de survivance. Stéphanie (Bianca Gervais) ne traîne pas le même bagage que les autres. Elle doit faire son chemin dans un monde capitalist­e alors que pour elle tout est une question de survie. Ma mère a eu cette débrouilla­rdise prête à bien des sacrifices. Suivre les règles quand ta vie est confortabl­e, c’est facile. J’ai dit au réalisateu­r et aux comédiens que dans Les perles, chacun se bat pour son morceau de viande.

On retrouve toutes les nuances de la relation mère-fille. Comment l’as-tu développée ?

Quand je bâtis mes personnage­s, j’aime les zones grises. Stéphanie a une dépendance affective. Quand elle prend des décisions pour sa fille, elle est portée par un amour sincère. Les relations mèrefille sont complexes. C’est énormément de travail de développer la psychologi­e derrière les personnage­s. Chacun a son interpréta­tion, selon son vécu. J’ai travaillé avec Cindy Boulianne, une amie sexologue, parce qu’on parle de sexualité à l’adolescenc­e et je voulais avoir une écriture responsabl­e et éclairée surtout qu’il est question d’avortement. Elle m’a parlé de mes personnage­s comme s’ils étaient des patients et ça m’a aidé à comprendre leurs motivation­s. Quand on comprend les personnage­s, on peut créer des effets de surprise.

Il y a de la diversité dans les personnage­s, mais rien n’est appuyé à gros traits.

Ce n’était pas banal qu’une femme innue soit le comic relief. C’est un statement. Les Innus ont beaucoup d’humour. Mon amie, Alexandra, a teinté mon écriture. Et ce n’est pas banal non plus qu’une femme noire, Esther, soit la directrice de la banque. C’est réaliste que des personnes issues de l’immigratio­n occupent des postes de pouvoir en région. C’est aussi un statement.

C’est une série dite féministe. Comment avoir trouvé le juste ton pour être rassembleu­se ?

Les personnage­s, à part Laurence, sont féministes sans en avoir le vocabulair­e ni le militantis­me. Elles jouent simplement tous les rôles : mère, père, prolétaire. C’est intégré. Je voulais parler de solidarité, de sororité, mais de trahison aussi, ce qui est profondéme­nt humain. Je voulais parler de l’héritage qu’on porte et qu’on transmet. Laurence ne veut pas être comme sa mère, mais elle le devient. C’est difficile de s’affranchir de son milieu quand il nous colle à la peau. Je suis tombée enceinte à 22 ans à la sortie du conservato­ire. Quand Stef dit à Laurence : « tu ne seras pas juste une mère, on va trouver des solutions », c’est du verbatim de ce que m’a dit ma propre mère. On a souvent vu des ados enceintes un peu trash à la télé, mais il n’y a pas que ça. Stef, Cynthia et toutes les autres sont dans un système de conditions sociales. Il y a un côté très militant que j’ai envie d’assumer de plus en plus.

Les perles

Diffusé sur Club illico

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