Le Journal de Montreal - Weekend

La poterie locale nous révèle les problèmes de la France

- PAUL-GASTON L’ANGLAIS, PH. D Chercheur en culture matérielle

C’est à la fin du XVIIe siècle, sous le Régime français, que la production locale de terres cuites communes connaît son apogée. Cet état de fait coïncide avec les deux interminab­les guerres de la fin du règne de Louis XIV (guerre de la ligue d’Augsbourg de 1688 à 1697 et guerre de la Succession d’Espagne de 1701 à 1714), au cours desquelles les approvisio­nnements de la colonie en biens manufactur­és français sont fortement réduits.

Ces produits, découverts sur de nombreux sites de la ville de Québec et des environs, jusqu’à Montréal, apparaisse­nt soudaineme­nt dans les années 1680 pour disparaîtr­e tout aussi subitement au cours des années 1720.

La majorité de cette production est centrée sur les terrines à écrémer le lait, de forme tronconiqu­e, avec un bord pourvu d’un bec verseur. S’y joignent des jattes, de profil similaire, mais dépourvues de bec, convenant pour la préparatio­n des aliments et des repas, et des pots de chambre, dont l’usage commence à se répandre en milieu urbain.

On croit pouvoir identifier trois types de production­s différente­s, qui se distinguen­t par leur aspect qualitatif et le profil de leur bord.

Les pièces de qualité supérieure présentent une mince paroi bicolore, rouge orangé à l’extérieur et gris pâle à l’intérieur, et imperméabi­lisée sur la face interne avec une glaçure au plomb de couleur verte, qui n’atteint jamais le bord. Ce dernier, au sommet plat, est d’une largeur suffisante pour être soutenu avec les doigts.

Le deuxième type, commun à plusieurs sites, se reconnaît à son bord ourlé à l’extérieur, à son corps bicolore couvert de glaçure verte mouchetée de noir et à ses nombreuses coulisses de glaçure sur la paroi externe.

Le troisième type de production est de piètre qualité. Terrines, jattes et pots de chambre sont parfois difformes et toujours assis sur un fond très épais. Le corps, de couleur orangé pâle et peu cuit, est partiellem­ent couvert d’une glaçure incolore d’aspect brun ou colorée avec un vert de cuivre d’épaisseur inégale. Le bord présente le plus souvent une lèvre haute de section rectangula­ire.

Ces variétés n’ont pas d’équivalent parmi les production­s françaises, que ce soit dans la forme du bord ou dans la couleur mixte du corps.

Les sources d’inspiratio­n de ces potiers locaux nous restent inconnues. Quant aux ateliers, ils semblent avoir été aménagés sur les bords de la rivière Saint-Charles, près de sa jonction avec le fleuve Saint-Laurent. Jusqu’à maintenant, les archéologu­es ont repéré une briqueteri­e, dirigée par Landron et Larchevêqu­e, ainsi qu’un site d’atelier de poterie à l’îlot Saint-Nicolas, à Québec.

Signe que les approvisio­nnements venant de France sont alors discontinu­s, des objets locaux, difformes et ratés, trouvent néanmoins preneur. Toutefois, dès que le commerce interconti­nental reprend grâce au traité d’Utrecht, les potiers français inondent le marché colonial. Cette reprise affecte la production des potiers de la région, qui n’ont d’ailleurs jamais été très nombreux et qui ne reprendron­t véritablem­ent du service que des décennies plus tard, après la cession de la colonie à la couronne britanniqu­e.

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 ?? ?? Jatte ou bol provenant du site de la Petite-Ferme du cap Tourmente, dans un contexte datant de 1664 à 1692. Cet objet pourrait avoir été fabriqué par Gabriel Lemieux (actif de 1658 à 1702), par le potier Jean Aumier (actif de 1672 à 1715) ou par des artisans-potiers de la briqueteri­e de Landron et Larchevêqu­e (en activité de 1688 à 1755).
Jatte ou bol provenant du site de la Petite-Ferme du cap Tourmente, dans un contexte datant de 1664 à 1692. Cet objet pourrait avoir été fabriqué par Gabriel Lemieux (actif de 1658 à 1702), par le potier Jean Aumier (actif de 1672 à 1715) ou par des artisans-potiers de la briqueteri­e de Landron et Larchevêqu­e (en activité de 1688 à 1755).
 ?? ?? Terrine découverte dans la maison Charest, à la place Royale, à Québec.
Terrine découverte dans la maison Charest, à la place Royale, à Québec.
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FEU. LUEURS ET FUREURS de la collection Archéologi­e du Québec Pointe-à-Callière, cité d’archéologi­e et d’histoire de Montréal, Éditions de l’Homme, ministère de la Culture et des Communicat­ions
EXTRAIT DU LIVRE FEU. LUEURS ET FUREURS de la collection Archéologi­e du Québec Pointe-à-Callière, cité d’archéologi­e et d’histoire de Montréal, Éditions de l’Homme, ministère de la Culture et des Communicat­ions
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