Le Journal de Montreal - Weekend
L’INSTINCT DE SURVIE CRÉATIF ET L’ART DE FAIRE VRAI
Cinq questions à Mara Joly, autrice, réalisatrice et coproductrice d’Après le déluge
C’est comme comédienne que Mara Joly est entrée dans le monde de la télé. Un monde homogène dont elle a découvert les rouages. Autodidacte, elle est devenue scénariste, réalisatrice puis productrice. On lui doit l’excellente série web La maison des folles qui s’est démarquée à Cannes notamment. Mara se distingue par son approche crue, ultra réaliste, instinctive. En entrevue, elle parle vite avec un enthousiasme débordant nourri de l’attention dont Après le déluge bénéficie.
Une série brute, vraie, qui nous entraîne dans un quartier chaud de Montréal, où l’on survit à travers la violence et les magouilles et dans laquelle une policière donne espoir à quelques jeunes poqués en les initiant aux arts martiaux mixtes. Vraiment pas mal pour une fille élevée dans des familles d’accueil qui n’avait à peu près pas accès à la télé parce que tout le monde se la tiraillait.
Comment t’est venue l’idée de la série ?
Mon frère faisait des arts martiaux mixtes. J’ai fait du karaté, du thaï-boxe.
Je sais l’impact que ça a eu sur moi. Je sais c’est quoi être défavorisée, manquer d’accès à des services, je comprends les carences. Et j’ai fait un an et demi de recherche. Avec mon frère, j’ai développé les archétypes. Je suis allée voir des mentors qui enseignent la boxe, des gens qui ont une vision, un engagement. Comme je ne connaissais pas les codes de la télé, je suis partie de ce qui me faisait tripper.
As-tu fait face à des embûches avant de voir ta première série acceptée chez un diffuseur ?
J’étais comédienne, je faisais des animations « alimentaires » déguisées en Nouvelle-France dans le VieuxMontréal. Personne ne me voyait comme réalisatrice. C’est mon ami Benoît Lach qui m’a donné confiance. Ça prend de la vision et le goût de s’investir dans un nouveau talent. J’ai trouvé des gens qui avaient envie d’être avec moi. J’ai cofondé ma boîte de production (avec Miryam Charles) pour protéger mon oeuvre, éviter qu’on me demande de blanchir mes personnages. Le diffuseur a été exceptionnel. Il y a eu une vraie conversation dans l’ouverture. C’est un projet porté par beaucoup de femmes qui m’ont mentoré.
Comment as-tu défini ton approche de réalisation ?
Depuis que je suis enfant, je m’intéresse à la photo, à la sculpture, à la peinture. Ce sont mes inspirations. C’est mon intuition qui me guide. J’aime les contrastes entre le texte et le contexte. Dire « je t’haïs » en riant, j’adore ça.
Tu es comédienne, tu travailles beaucoup avec des non-acteurs. Que fais-tu pour les diriger ?
Je fais beaucoup de casting sauvage. Je travaille toujours avec une coach pour les réchauffer parce qu’au Québec, on a peu de temps. Ça permet de répéter leurs lignes, d’épurer leurs tics. Certains
leads ont eu du coaching. Sinon, je lis le corps des acteurs. Je m’adapte à la façon dont ils respirent, bougent. Je veux juste qu’ils soient vrais, au-delà de la mise en scène ou du texte. Je sais que c’est très exigeant pour l’équipe.
Dylane (Charlotte Blanche Masse) et Maxime (Penande Estime) ont eu des entraîneurs et des nutritionnistes. Ce sont des rôles très physiques. Il y a des batailles, des cascades, du travail avec une chorégraphe de combat, un coach de MMA et une coordonnatrice d’intimité pour les scènes de nudité.
Nous avions aussi un intervenant psychosocial afrodescendant, Cyrille Ekwalla, parce qu’il y a des scènes qui demandaient une grande délicatesse. Il fallait offrir un safe space ,nerien échapper.
Que souhaites-tu que l’on retienne de cette série ?
Qu’il ne faut jamais minimiser l’impact qu’on peut avoir sur quelqu’un. Il y a un proverbe africain qui dit : Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin. Je suis l’addition de tous les gens que j’ai rencontrés. Je suis une enfant du système et je dirais même que je suis une victoire du système. Je viens d’un milieu où personne n’avait de vision pour moi. Il y a des gens qui m’ont donné des clés à des moments où j’en avais besoin. Et je suis fière de montrer un personnage principal, une femme,
dark skin, avec des cheveux naturels, professionnelle, policière en plus, autonome, avec du caractère, homosexuelle alors que c’est encore tabou dans la communauté (Mara est née d’une mère afrodescendante et d’un père blanc). Je suis fière de montrer du black love parce qu’on n’en voit jamais à l’écran. De donner ça à mes communautés. Si c’était pour être mon seul projet, j’y ai tout mis.
Après le déluge
Jeudi 21 h sur Noovo