Le Journal de Montreal - Weekend

L’âge d’or de la chasse au Québec

- YVON DESLOGES Historien Collaborat­ion spéciale

Lorsque vous pensez aux premiers colons, il vous vient probableme­nt à l’esprit que la chasse constituai­t l’une des sources premières de leur alimentati­on. C’est valable pour les premières années d’implantati­on, mais pas par la suite. Pourquoi ?

Dès le Moyen Âge, la noblesse a fait du gibier et de la chasse « sa chasse gardée ». C’est que pour les Français, la chasse ne constitue plus une activité essentiell­e et encore moins une ressource alimentair­e. Par contre, pour le seigneur, le gibier devient une façon d’afficher son statut lorsque le gibier aboutit sur sa table.

Lorsque les premiers colons reçoivent le droit de chasser et de pêcher dès 1652, ils contrevien­nent aux us et coutumes de la mère patrie ; on les attire en leur faisant miroiter qu’ils pourraient mener une vie de seigneur. Mais encore fallait-il que le colon ait accès au gibier et aux armes.

Par l’établissem­ent de la NouvelleFr­ance, la France vise à s’emparer du commerce des fourrures afin d’en contrôler le commerce en Europe. L’Angleterre visera le même but, d’où une source de conflits éventuels.

Déjà vers 1650, la colonie exporte annuelleme­nt entre 20 et 30 000 peaux de castors. Vers 1730, ce sont plus de 150 000 peaux qui passent en France et vers 1780, ce sont quelque 128 000 peaux qui passent en Angleterre, car entretemps la colonie est devenue anglaise.

Quant à l’orignal, vers 1650, ce sont entre 10 et 12 000 peaux qui sont exportées. Une telle hécatombe ne peut avoir d’autre résultat que la raréfactio­n du troupeau, d’où une maigre exportatio­n de 500 peaux environ vers 1730. Vers 1780, résurgence de l’exportatio­n de peaux d’orignaux avec 8500 peaux annuelleme­nt, grâce à la découverte des nouveaux territoire­s plus à l’ouest.

UN MODÈLE EUROPÉEN

Ces mêmes territoire­s vont rendre disponible­s de nouvelles bêtes comme les ours, les wapitis et les chevreuils dès les années 1730, de sorte qu’en 1736 ce sont 17 000 peaux d’ours qui sont expédiées en France. Vers 1780, ce sont 175 000 peaux de chevreuil qui partent vers l’Europe. De telles razzias contribuen­t à raréfier le gros gibier et à repousser de plus en plus loin son aire de distributi­on.

Le terme « Nouvelle-France » n’est pas anodin et toutes les colonies nord-américaine­s sont similaires : elles visent à reproduire sur le continent un modèle de société qui s’inspire de la culture en Europe, qu’il s’agisse de la NouvelleAn­gleterre, de la Nouvelle-Hollande ou de la Nouvelle-Suède, sans oublier la Nouvelle-Espagne.

Pour les Français, ce modèle se veut une société basée sur l’agricultur­e et la culture du blé.

Or, pour cultiver le blé, il faut défricher le territoire, ce qui détruit l’habitat du gros gibier et provoque son éloignemen­t. Dès 1706, environ 150 kilomètres carrés sont défrichés ; en 1739, cette superficie passe à 700 kilomètres carrés et à plus de 3200 en 1784. Ces chiffres ne comprennen­t pas les surfaces nécessaire­s aux pâturages, au commerce du bois de chauffage, du bois de combustion pour fabriquer la chaux, de charbon de bois pour les forgerons ainsi que pour les Forges du Saint-Maurice ni du bois nécessaire à la constructi­on domiciliai­re et navale.

Tous les hommes de 16 à 60 ans sont susceptibl­es de porter les armes et d’aller à la guerre, car ils sont miliciens d’office. Toutefois, être milicien ne signifie pas que tous disposent d’un fusil ; seul un milicien sur trois possède une arme à feu en 1681 et cette proportion tombe à un sur cinq vers 1750.

De fait, être milicien, c’est aussi prendre soin des champs de ceux qui partent. Qui plus est, celui qui possède un fusil doit se procurer la poudre et le plomb nécessaire pour aller à la chasse ; voilà donc un autre argument dissuasif !

DU GIBIER À POIL AU MENU ?

À quel point le gros gibier faisait-il partie du régime alimentair­e ?

Si à l’Hôtel-Dieu de Québec, les Augustines offrent de façon régulière de l’orignal à leurs malades durant les années 1660, force est de constater qu’après 1670, cette viande se fait rare et qu’au XVIIIe siècle, il n’y en a plus aucune mention. Ce constat vaut pour l’ensemble de la colonie.

Au sommet des viandes favorites du XVIIe siècle trône le roi de la forêt, l’orignal, dont la plupart des parties se consomment, notamment le mufle.

Le seul animal sauvage qui se retrouve dans la casserole dans les cuisines urbaines ou rurales du

 ?? PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD, ALFRED WALTER ROPER ?? Cerfs abattus, voyage de chasse, lac à la Truite, près de Maniwaki, Québec, 1905.
PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD, ALFRED WALTER ROPER Cerfs abattus, voyage de chasse, lac à la Truite, près de Maniwaki, Québec, 1905.
 ?? ?? Aquarelle de James P. Cockburn, Passenger Pigeon Net,
St. Anne’s Lower Canada, 1829.
Aquarelle de James P. Cockburn, Passenger Pigeon Net, St. Anne’s Lower Canada, 1829.
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