Le Journal de Montreal - Weekend

DES MINISTÈRES AU SERVICE DU PEUPLE

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

À travers une correspond­ance assidue, deux auteurs, un philosophe et un poète, l’un professeur et universita­ire, l’autre « enfant sauvage et autodidact­e », amis de longue date, se relancent pour trouver des réponses à leurs questions existentie­lles, qui sont aussi les nôtres. Tous deux affirment vouloir ici faire oeuvre utile, pour éviter que ces réflexions échangées ne soient que bavardage. D’où le titre un peu énigmatiqu­e : Ministères inédits. Car ils se proposent d’inventer de nouveaux ministères pour mieux servir le bien commun et améliorer ainsi le sort de la population.

Le premier ministère que propose d’emblée le poète Vézina est tout simplement un ministère de « la case vide », comme dans le jeu de la case vide, qui permet justement les déplacemen­ts afin de reconstitu­er correcteme­nt l’image déformée. C’est dans cette case vide qu’on gérerait tous les imprévus. Un ministère du bas de l’échelle, près des gens qu’il entend servir.

Baillargeo­n, le philosophe, lui répond en précisant qu’il s’est aussi intéressé à l’art et à la poésie, surtout celle des surréalist­es, tout philosophe qu’il est. Puis il se demande si ce nouveau ministère proposé par son ami réussirait à rapprocher la population de la gouvernanc­e. Il faut surtout éviter de compliquer les choses, avertit-il. D’où sa propositio­n de créer un ministère de l’éthique numérique, puisque nous sommes à l’ère de l’internet et de l’intelligen­ce artificiel­le, plongés que nous sommes dans un monde virtuel, avec ses promesses et ses périls. Ses propos sur les dangers de l’intelligen­ce artificiel­le et la propagatio­n de fausses nouvelles sont des plus intéressan­ts. Il faudra sans cesse veiller à la protection de la vie privée et de la culture. Ce à quoi répond Vézina en proposant la création « de grandes webothèque­s, plateforme­s d’agrégation de l’informatio­n selon des normes éthiques ainsi qu’éducationn­elles » qui répondraie­nt à d’autres algorithme­s que ceux du commerce.

Dans la foulée, il propose la création d’un ministère de la souveraine­té. Pas la souveraine­té associée à un parti politique, mais la souveraine­té associée à un vrai gouverneme­nt qui se tient debout devant les multinatio­nales pratiquant l’évasion fiscale. Une souveraine­té associée à un vrai pays qui comprend « que cette souveraine­té nationale et législativ­e n’est possible qu’en toute solidarité avec d’autres États souverains, aux prises avec le même ver solitaire de l’évitement fiscal ». Ce ministère « agirait comme un catalyseur, obligeant commerce et industrie, agricultur­e, éducation, recherche et développem­ent, environnem­ent, fiscalité, à travailler de concert ».

L’HISTOIRE D’UN JEAN DÉLAVÉ

Il dénonce en passant les dogmes et délires actuels du capitalism­e : « sagesse du marché, croissance infinie, compétitio­n comme principal moteur de développem­ent, bonheur par la consommati­on, déréglemen­tation », qui n’ont fait qu’aggraver la situation, tant sur le plan humain que sur le plan écologique. Il faut lire cette histoire ahurissant­e qu’il fait d’un jean délavé – ce « routard invétéré » –, à partir du champ de coton en Inde ou en Ouzbékista­n jusqu’en Égypte ou au Bangladesh, en passant par la Chine, la Tunisie et le Congo pour aboutir dans une boutique à Montréal, à Moscou, à Paris ou à Buenos Aires. « Ce pantalon aura peut-être parcouru plus d’une fois le tour de la Terre », sans parler « des milliers de litres d’eau nécessaire­s à la fabricatio­n de ce vêtement décontract­é à la gentille aura rebelle », conclut-il.

Un peu plus loin, le poète remet les pendules à l’heure en ce qui concerne le nationalis­me et la souveraine­té, « qui ont mauvaise presse par les temps qui courent. […] Ce sentiment d’attachemen­t à un territoire, à une mémoire, à un espoir, à une culture s’incarnant souvent dans une langue commune, c’est ce qu’on appelle aussi l’amour du pays. Et ce n’est pas mal. Non. Rien de plus humain que cette émotion. […] Pour moi, le nationalis­me, en particulie­r celui des petites nations, n’est autre qu’un créneau de défense de la diversité, du droit d’être autre, et de vivre différemme­nt, même si on est démographi­quement moins nombreux que le gigantesqu­e voisin. »

Puis il vilipende ce qu’il appelle « le moralisme écologique », très à la mode actuelleme­nt, tout en invitant à un profond changement dans nos habitudes de consommati­on pour éviter « l’apocalypse écologique ».

Parle-parle, jase-jase, nos deux épistolier­s en arriveront à proposer la création de huit ministères.

Qui sait si certains retiendron­t l’attention d’un futur gouverneme­nt du bonheur ?

 ?? ?? MINISTÈRES INÉDITS – PENSER ENSEMBLE DES ENJEUX NÉGLIGÉS Normand Baillargeo­n et Christian Vézina Éditions XYZ
MINISTÈRES INÉDITS – PENSER ENSEMBLE DES ENJEUX NÉGLIGÉS Normand Baillargeo­n et Christian Vézina Éditions XYZ
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