Le Journal de Montreal - Weekend

Des Canadiens ont déjà demandé à Napoléon de reconquéri­r le Canada

- MARTIN LAVALLÉE Collaborat­ion spéciale

En septembre 1805, un certain Jean-Baptiste Noreau, de Saint-Constant, débarque dans le port de Bordeaux. Il vient de traverser l’Atlantique à bord d’un navire américain en provenance de New York. Noreau représente un groupe de Canadiens de la rive sud de Montréal et il est porteur d’une missive pour nul autre que l’empereur Napoléon ! Retour sur cet épisode méconnu de notre histoire.

En 1805, cela fait 42 ans que la Nouvelle-France a été cédée à l’Angleterre à la suite de la Conquête. Depuis 1791, les Canadiens, descendant­s des Français, vivent sous l’Acte constituti­onnel au sein du Bas-Canada, où ils sont fortement majoritair­es.

Malgré cela, la minorité britanniqu­e de la colonie détient le pouvoir et des querelles commencent à émerger entre cette minorité et les députés canadiens de l’Assemblée. Ces querelles mèneront progressiv­ement aux soulèvemen­ts de 1837-1838.

En France, bien des changement­s sont survenus depuis le traité de Paris de 1763. La Révolution française de 1789 a bouleversé le pays pendant une dizaine d’années avant qu’un homme s’impose pour rétablir l’ordre, tout en conservant l’essentiel des acquis révolution­naires : Napoléon Bonaparte ! Après la brève période du Consulat, ce dernier a instauré l’Empire et est alors à la conquête de l’Europe.

C’est dans ce contexte général que Jean-Baptiste Noreau et 11 acolytes adressent une lettre et une pétition à l’empereur des Français. Ces documents constituen­t l’un des rares témoignage­s qui démontrent clairement l’attachemen­t et l’affection qu’éprouvent certains habitants canadiens envers l’ancienne mère-patrie au début du XIXE siècle.

« SECOUER LE JOUG DES ANGLAIS »

Dans cette lettre, conservée dans les archives du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de France et mise à jour il y a quelques années par le chercheur Sylvain Pagé, les signataire­s demandent à l’empereur que la France reconquier­t le Canada pour que les Canadiens puissent « porter de nouveau le nom glorieux de Français ».

Selon eux, le peuple canadien serait disposé à un retour dans le giron de la France et il ne manquerait qu’« un bon général français » pour mettre les Anglais en échec et les bouter hors du Canada.

Signe de leur déterminat­ion, les 12 signataire­s se disent même prêts « à subvenir aux frais que cette entreprise exigera ». Ils terminent leur lettre à Bonaparte en disant qu’ils sont « prêts à tout entreprend­re, à la première vue des Français que nous regardons toujours comme nos frères ».

Nous ne savons pas si cette lettre et cette pétition se sont rendues aux mains de l’empereur. À son arrivée à Bordeaux, Jean-Baptiste Noreau, pris d’un malaise, a dû séjourner dans un hospice d’où on perd sa trace.

UNE TENTATIVE VAINE

Toutefois, même s’il l’avait lue, il est très peu probable que Napoléon ait répondu positiveme­nt à la demande de Noreau et de ses comparses. Du moins dans l’immédiat. Si des projets de reconstitu­er l’empire colonial français en Amérique du Nord ont été échafaudés durant la période du Consulat, la chose est différente en 1805.

Napoléon vient alors tout juste de vendre la Louisiane aux États Unis et est trop occupé en Europe pour songer au Canada.

La bataille de Trafalgar, en octobre 1805, se conclut par une défaite de la flotte franco-espagnole, ce qui conduit l’empereur à se concentrer sur le continent européen, où il s’apprête d’ailleurs à gagner la bataille d’Austerlitz en décembre, atteignant bientôt l’apogée de son règne.

Néanmoins, une lettre de Talleyrand, ministre des Affaires étrangères, adressée à l’ambassadeu­r de France à Londres, en 1802, montre que la France napoléonie­nne se tient informée de la situation coloniale des Canadiens et de leur opinion vis-à-vis de la France.

Ceci laisse penser que la reconquête du Canada aurait pu intéresser l’empereur dans une conjonctur­e géopolitiq­ue favorable, mais cette conjonctur­e ne viendra jamais...

 ?? PHOTO FOURNIE PAR COLLECTION DU MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC ?? En 1759 et 1760, la Nouvelle-France est conquise par les Britanniqu­es. Le Traité de Paris de 1763 officialis­e cette conquête et le passage du Canada et des Canadiens aux mains de la Grande-Bretagne. Peinture illustrant le siège de Québec le 13 septembre 1759.
Sous Napoléon, la France est un empire de 1804 à 1814 et brièvement en 1815, avec le retour de Napoléon lors de l’épisode des Cent-Jours. Cette peinture intitulée Napoléon 1er, empereur des Français est l’oeuvre du peintre François Gérard et est conservée au Château de Versailles.
En 1805, les Canadiens vivent sous l’Acte constituti­onnel au sein du Bas-Canada sous domination britanniqu­e. Peinture de Charles Huot intitulée Le débat sur les langues illustrant l’un des premiers débats de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada.
PHOTO FOURNIE PAR COLLECTION DU MUSÉE NATIONAL DES BEAUX-ARTS DU QUÉBEC En 1759 et 1760, la Nouvelle-France est conquise par les Britanniqu­es. Le Traité de Paris de 1763 officialis­e cette conquête et le passage du Canada et des Canadiens aux mains de la Grande-Bretagne. Peinture illustrant le siège de Québec le 13 septembre 1759. Sous Napoléon, la France est un empire de 1804 à 1814 et brièvement en 1815, avec le retour de Napoléon lors de l’épisode des Cent-Jours. Cette peinture intitulée Napoléon 1er, empereur des Français est l’oeuvre du peintre François Gérard et est conservée au Château de Versailles. En 1805, les Canadiens vivent sous l’Acte constituti­onnel au sein du Bas-Canada sous domination britanniqu­e. Peinture de Charles Huot intitulée Le débat sur les langues illustrant l’un des premiers débats de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada.

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