Le Journal de Montreal - Weekend
VIVRE AVEC DE L’ARSENIC DANS L’AIR
Le chanteur-cinéaste-conteur merveilleux Richard Desjardins, à qui cet ouvrage de Pierre Céré est dédié, en a bien parlé, dans ses écrits et spectacles, de la mine de cuivre et de sa fonderie de la honte, dont il pensait, quand il était petit, que les cheminées faisaient les nuages dans le ciel de son Abitibi natal.
Nous avons affaire à une puissance qui ne reconnaît aucune frontière, aucune législation, car « ce n’est pas au Québec qu’on peut dicter les règles du jeu de l’industrie mondiale », s’était fait répondre, un jour, la très courageuse ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet.
Pierre Céré, lui-même originaire de Rouyn-Noranda, a voulu savoir ce qui s’est passé entre 1980, alors qu’on entreprend d’étudier, en collaboration avec des chercheurs et médecins de l’hôpital Mont Sinaï de New York, les problèmes de santé des travailleurs de la fonderie Horne, notamment les maladies industrielles reliées à l’exploitation de la mine, et les années 2000, alors qu’on apprend que le gouvernement québécois a accordé scandaleusement à la Fonderie Horne des exemptions sur les taux d’arsenic permis dans l’air.
Pour ce faire, il est retourné sur les lieux où il a grandi, alors que tous les vendredis à midi, la sirène de la mine annonçait qu’elle s’apprêtait à rejeter dans l’air une épaisse fumée suffocante et puante, rien d’autre que de l’anhydride sulfureux.
« Il y avait à Noranda-Nord, raconte-t-il, des terres à perte de vue qui avaient l’aspect d’un paysage lunaire : des boues orange, d’où émergeaient quelques troncs d’arbres pourris et qui avaient tué toute végétation. Ça faisait partie du décor. »
C’était une zone interdite, tout comme le lac Osisko, situé en plein centre de Rouyn-Noranda, ou le lac Pelletier, à quelques kilomètres de la ville, où il était interdit de se baigner, parce qu’ils avaient servi de dépotoirs miniers.
Cette ville, comme de nombreuses autres villes au Québec, de Murdochville à Sept-Îles, en passant par Sorel, Asbestos et La Tuque, avait été construite par et pour la mine. C’était des Company Towns, comme on les appelait à l’époque.
Paradoxalement, précise Céré, ce drame ne l’empêche pas d’être fier d’être né dans cette région de l’Abitibi Témiscamingue où l’on recense pas moins de 20 000 lacs.
La chanson de Raul Duguay La bitt à Tibi ne met-elle pas en valeur, d’ailleurs, le courage de ces gens qui avaient « des bras durs comme la roche pis des cuisses comme des troncs d’arbre pis du front tout le tour de la tête » ?
ENTRE EMPLOI ET SANTÉ
Cette contradiction, cette ambivalence, la population locale la vit tous les jours, confrontée entre emploi et santé.
Même le premier ministre Legault s’en est lavé les mains, lors de la dernière campagne électorale, en affirmant que c’était aux citoyens de Rouyn-Noranda de décider, « pas à Gabriel Nadeau-Dubois de Montréal, pas à quelques médecins ni à des groupes de pression ».
Il minimisait du coup les risques pour la santé liés aux émissions d’arsenic de la Fonderie Horne. Le syndicat des travailleurs de la mine Noranda n’échappe pas, note Céré, à cette contradiction entre sauver des emplois bien rémunérés et les nécessités liées à la santé publique.
Céré nous apprend que, dès 1924, le gouvernement était au courant que la fonderie Horne causait des torts irréparables à la nature en raison de ses émissions de gaz sulfureux.
On votera même une loi pour
« mettre à l’abri Noranda Mines Limited de toute poursuite pour les dommages causés à l’environnement du district de Rouyn par sa fonderie ».
La multinationale Noranda étendra ses activités – mines, mais aussi bois et papier, pétrochimie, électronique et communications, banque – un peu partout dans le monde. Elle changera plusieurs fois de noms et de mains. Son chiffre d’affaires sera de 278 milliards de dollars US en 2022, avec des bénéfices nets de 18 milliards de dollars, malgré les nombreuses amendes pour fraudes fiscales et corruptions.
Ce voyage au bout de la mine, au coeur d’une région affectée par cent ans de pollution, est fascinant et, je vous préviens, il peut même occasionner des haut-le-coeur, tant les injustices sont révoltantes.