Le Journal de Montreal - Weekend
SYNDROME DE L’IMPOSTEUR L’INCOMPÉTENCE IMAGINAIRE
Vous cumulez les réussites, vos pairs soulignent vos bons coups, et il vous arrive même de décrocher quelques distinctions au passage. Rien à faire : vous n’y croyez pas, il s’agit forcément d’une erreur, et quelqu’un, quelque part, finira par révéler au grand jour votre incompétence. Si ces pensées vous sont trop familières, vous vivez peut-être avec le « syndrome de l’imposteur. »
Les personnes cultivant des doutes profonds sur leur valeur, leurs capacités ou se jugeant trop sévèrement peuvent être aux prises avec ce « syndrome. » Si elles ont réussi, si elles ont accompli certaines choses ou reçu divers prix, cela ne peut s’expliquer que par la chance, par une bonne étoile ou grâce à des alliés talentueux, bref, par toutes sortes d’éléments qui seraient extérieurs à elles.
COMME UN MIROIR DÉFORMANT
Si le « syndrome de l’imposteur » n’est pas une pathologie à proprement parler, plusieurs personnes entretiennent de telles pensées négatives, au point de faire fi de leurs qualités, de leurs forces, de nier leurs réussites et de se dénigrer d’une manière récurrente. À titre d’exemple, si vous félicitez ces gens pour un bon coup, ils vous répondront du tac au tac qu’ils n’y sont pour rien, ou qu’après tout, ce projet était facile. Applaudissez leurs succès, et ils rendront aussitôt hommage à leur équipe, ou ils expliqueront cette réussite par des facteurs externes.
Personne n’est à l’abri du miroir déformant que sont ces perceptions négatives et biaisées vis-à-vis de soi-même. Des chefs d’entreprise ou des vedettes du grand et du petit écran, n’ayant pas obtenu tel diplôme ou telle formation, éprouvent parfois aussi le sentiment du « syndrome de l’autodidacte ». Peu importe le rayonnement de leur compagnie, les honneurs qu’ils reçoivent ou la puissance de leurs interprétations artistiques, ils se sentiront moins méritoires que leurs collègues plus scolarisés.
UN SENTIMENT QUI N’EST PAS SANS CONSÉQUENCE
Refuser de s’accorder du mérite, avoir toujours en tête que d’autres pourraient supposément faire mieux que soi, avoir peur de l’échec, c’est aussi prendre moins de risque, refuser de belles occasions, se priver de nouveaux défis.
Et à force de se trouver moins bon que les autres, de banaliser ses réussites, de nier ses bons coups, on peut aussi finir par se détacher des autres et s’isoler… Cela peut également engendrer de l’anxiété et des sentiments négatifs.
Pour contrer ce syndrome, faut-il forcément jouer la carte de l’arrogance et de la confiance infinie ? Lorsque je travaillais dans le domaine de la psychiatrie, un superviseur clinique m’a enseigné un principe fondamental. À travers mes interrogations, il percevait ma crainte de ne pas avoir suffisamment de connaissances, ma conviction qu’un autre professionnel ferait sûrement mieux que moi. Or, son analyse était limpide : mes doutes étaient salutaires, car ils me poussaient à la réflexion, à l’analyse, à la recherche. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche le disait en d’autres termes, mais avec la même sagesse : « Ce n’est pas le doute qui pose problème, c’est la certitude qui rend fou. »
QUELQUES STRATÉGIES ET PISTES DE RÉFLEXION
S’il n’existe pas de solution magique, il est néanmoins possible d’explorer diverses pistes de réflexion et de mettre en place certaines stratégies pour tâcher d’atténuer les impacts de ce sentiment biaisé, de faire preuve de plus de nuances et d’avoir une perception plus juste de nous-mêmes.
Avant toute chose, il faut savoir prendre conscience et reconnaître le syndrome de l’imposteur lorsque de telles pensées surviennent. Ensuite, il est souvent souhaitable de se questionner sur les attentes que nous entretenons vis-à-vis de nous-mêmes : des attentes irréalistes peuvent en effet alimenter l’impression de ne pas être à la hauteur.
Vous pouvez aussi tenter d’apprendre, graduellement, à vous attribuer du mérite pour vos réussites et vos réalisations plutôt que de constamment les minimiser. Par exemple, en répondant simplement « merci » lorsque l’on vous félicite (tout en sachant que cela est beaucoup plus facile à dire qu’à faire !).
Le fait de cultiver des relations riches et nourrissantes avec des personnes bienveillantes envers vous est également d’une grande importance. Il en va de même avec la relation que vous entretenez avec vous-mêmes : dans une situation de doute, ou si vous commettez une erreur, privilégiez plutôt l’analyse, la réflexion et l’indulgence.
À plus long terme, il peut aussi être salutaire de se pencher sur les raisons plus profondes pour lesquelles vous doutez à ce point de vous-mêmes ou êtes aussi durs envers vous…
DOUTER, MAIS AVEC MODÉRATION
Savoir reconnaître ses forces, ses faiblesses, ses talents et ses limites nous offre une perception plus juste de nous-mêmes. En somme, douter, c’est bien. À l’inverse, douter de tout, tout le temps, et surtout de soi-même, cela nous paralyse… laissons plutôt cela aux vrais imposteurs !