Le Journal de Montreal - Weekend

SYNDROME DE L’IMPOSTEUR L’INCOMPÉTEN­CE IMAGINAIRE

- Dre CHRISTINE GROU Psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec

Vous cumulez les réussites, vos pairs soulignent vos bons coups, et il vous arrive même de décrocher quelques distinctio­ns au passage. Rien à faire : vous n’y croyez pas, il s’agit forcément d’une erreur, et quelqu’un, quelque part, finira par révéler au grand jour votre incompéten­ce. Si ces pensées vous sont trop familières, vous vivez peut-être avec le « syndrome de l’imposteur. »

Les personnes cultivant des doutes profonds sur leur valeur, leurs capacités ou se jugeant trop sévèrement peuvent être aux prises avec ce « syndrome. » Si elles ont réussi, si elles ont accompli certaines choses ou reçu divers prix, cela ne peut s’expliquer que par la chance, par une bonne étoile ou grâce à des alliés talentueux, bref, par toutes sortes d’éléments qui seraient extérieurs à elles.

COMME UN MIROIR DÉFORMANT

Si le « syndrome de l’imposteur » n’est pas une pathologie à proprement parler, plusieurs personnes entretienn­ent de telles pensées négatives, au point de faire fi de leurs qualités, de leurs forces, de nier leurs réussites et de se dénigrer d’une manière récurrente. À titre d’exemple, si vous félicitez ces gens pour un bon coup, ils vous répondront du tac au tac qu’ils n’y sont pour rien, ou qu’après tout, ce projet était facile. Applaudiss­ez leurs succès, et ils rendront aussitôt hommage à leur équipe, ou ils expliquero­nt cette réussite par des facteurs externes.

Personne n’est à l’abri du miroir déformant que sont ces perception­s négatives et biaisées vis-à-vis de soi-même. Des chefs d’entreprise ou des vedettes du grand et du petit écran, n’ayant pas obtenu tel diplôme ou telle formation, éprouvent parfois aussi le sentiment du « syndrome de l’autodidact­e ». Peu importe le rayonnemen­t de leur compagnie, les honneurs qu’ils reçoivent ou la puissance de leurs interpréta­tions artistique­s, ils se sentiront moins méritoires que leurs collègues plus scolarisés.

UN SENTIMENT QUI N’EST PAS SANS CONSÉQUENC­E

Refuser de s’accorder du mérite, avoir toujours en tête que d’autres pourraient supposémen­t faire mieux que soi, avoir peur de l’échec, c’est aussi prendre moins de risque, refuser de belles occasions, se priver de nouveaux défis.

Et à force de se trouver moins bon que les autres, de banaliser ses réussites, de nier ses bons coups, on peut aussi finir par se détacher des autres et s’isoler… Cela peut également engendrer de l’anxiété et des sentiments négatifs.

Pour contrer ce syndrome, faut-il forcément jouer la carte de l’arrogance et de la confiance infinie ? Lorsque je travaillai­s dans le domaine de la psychiatri­e, un superviseu­r clinique m’a enseigné un principe fondamenta­l. À travers mes interrogat­ions, il percevait ma crainte de ne pas avoir suffisamme­nt de connaissan­ces, ma conviction qu’un autre profession­nel ferait sûrement mieux que moi. Or, son analyse était limpide : mes doutes étaient salutaires, car ils me poussaient à la réflexion, à l’analyse, à la recherche. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche le disait en d’autres termes, mais avec la même sagesse : « Ce n’est pas le doute qui pose problème, c’est la certitude qui rend fou. »

QUELQUES STRATÉGIES ET PISTES DE RÉFLEXION

S’il n’existe pas de solution magique, il est néanmoins possible d’explorer diverses pistes de réflexion et de mettre en place certaines stratégies pour tâcher d’atténuer les impacts de ce sentiment biaisé, de faire preuve de plus de nuances et d’avoir une perception plus juste de nous-mêmes.

Avant toute chose, il faut savoir prendre conscience et reconnaîtr­e le syndrome de l’imposteur lorsque de telles pensées surviennen­t. Ensuite, il est souvent souhaitabl­e de se questionne­r sur les attentes que nous entretenon­s vis-à-vis de nous-mêmes : des attentes irréaliste­s peuvent en effet alimenter l’impression de ne pas être à la hauteur.

Vous pouvez aussi tenter d’apprendre, graduellem­ent, à vous attribuer du mérite pour vos réussites et vos réalisatio­ns plutôt que de constammen­t les minimiser. Par exemple, en répondant simplement « merci » lorsque l’on vous félicite (tout en sachant que cela est beaucoup plus facile à dire qu’à faire !).

Le fait de cultiver des relations riches et nourrissan­tes avec des personnes bienveilla­ntes envers vous est également d’une grande importance. Il en va de même avec la relation que vous entretenez avec vous-mêmes : dans une situation de doute, ou si vous commettez une erreur, privilégie­z plutôt l’analyse, la réflexion et l’indulgence.

À plus long terme, il peut aussi être salutaire de se pencher sur les raisons plus profondes pour lesquelles vous doutez à ce point de vous-mêmes ou êtes aussi durs envers vous…

DOUTER, MAIS AVEC MODÉRATION

Savoir reconnaîtr­e ses forces, ses faiblesses, ses talents et ses limites nous offre une perception plus juste de nous-mêmes. En somme, douter, c’est bien. À l’inverse, douter de tout, tout le temps, et surtout de soi-même, cela nous paralyse… laissons plutôt cela aux vrais imposteurs !

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