Le Journal de Montreal - Weekend

LES ITINÉRANTS NE NAISSENT PAS DANS LA RUE

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Les multiples causes qui conduisent à cet état de vulnérabil­ité sont malgré tout troublante­s, bouleversa­ntes. Le parcours semé d’embûches mène certaines personnes à la rue, bien souvent contre leur volonté. Dans toute l’histoire de mendicité contempora­ine au Québec, la vie du Grand Antonio est probableme­nt celle qui a le plus frappé l’imaginaire collectif.

Anton Barichievi­ch est né à Zagreb, au royaume des Serbes en 1925. On ne connaît pratiqueme­nt rien de son enfance, mais on sait qu’il avait une force surnaturel­le. On raconte qu’à l’âge de 12 ans, il était capable de déraciner des arbres avec la seule force de ses bras.

Il arrive à Montréal grâce à un statut de réfugié à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Barichievi­ch est dans la jeune vingtaine et, comme la plupart des autres réfugiés, il ne possède rien à part son physique impression­nant.

Il mesure 1,93 mètre, pèse plus de 225 kilos et chausse des souliers de pointure 28. Il attire l’attention de la communauté internatio­nale, en 1952, en entrant dans le Livre Guinness des records parce qu’il réussit à tirer sur une voie ferrée un train de 433 tonnes sur une distance de près de 20 m.

Quatre ans plus tard, le désormais Grand Antonio accomplit un autre exploit en tirant une voiture avec ses cheveux. L’homme fort se surpasse encore en 1960 et bat un autre record en tirant quatre autobus pleins de passagers sur la rue Sainte-Catherine.

Le Grand Antonio, qui se proclame l’homme le plus fort du monde, sera aussi lutteur profession­nel et prendra la vedette dans des films et des émissions de télévision. Au sommet de sa carrière, ce gentil géant à la barbe en bataille et aux cheveux longs attire l’attention et devient une supervedet­te connue internatio­nalement.

Toutefois, au cours des années 90, il se marginalis­e et tombe tranquille­ment dans l’oubli. Puis, on le voit errer à Montréal. On le croise fréquemmen­t dans les stations de métro de la ligne orange. Il déambule dans les rues du quartier Rosemont à toute heure du jour. Avec sa stature imposante, il ne passe jamais inaperçu, les gens le reconnaiss­ent. Le Grand Antonio est une légende dans la métropole, mais il personnifi­e aussi la déchéance, celle d’une ancienne vedette métamorpho­sée en clochard.

Il vend des cartes postales de ses vieux exploits pour ramasser quelques dollars.

Le Grand Antonio meurt en 2003 d’une crise cardiaque, à l’âge de 77 ans, seul, dans la plus grande indifféren­ce, allongé sur un banc de parc de Montréal. Cet homme bien solitaire, sans famille connue et sans le sou, a été enterré décemment grâce à l’interventi­on de Jeunesse au Soleil.

Le parcours de cette ancienne vedette internatio­nale, reléguée au stade de personnage marginalis­é, démontre bien toute l’importance des organismes d’aide qui soutiennen­t les déshérités.

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Le légendaire Grand Antonio

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