Le Journal de Montreal - Weekend

Les secrets d’un wampum bientôt dévoilés

- MAUDE BOUCHARDDU­PONT Historienn­e Collaborat­ion spéciale

Dotés d’une aura de mystère, les wampums évoquent les grands discours et les éminents traités de paix des siècles derniers. Datant du moment de la Conquête, le wampum à la hache ou « le grand collier de guerre » montre concrèteme­nt le métissage des coutumes diplomatiq­ues de l’Ancien et du Nouveau Monde. À leur arrivée sur la côte est de l’Amérique du Nord au XVIIe siècle, les Européens

comprennen­t rapidement qu’ils ne peuvent s’allier aux Autochtone­s sans avoir recours aux wampums.

Signifiant « enfilades de coquillage­s blancs », le mot « wampum » est une abréviatio­n de « wampumpeag­ue » en algonquin du sud de la Nouvelle-Angleterre. Les wampums servent à mémoriser les paroles échangées lors des traités de paix chez les Haudenosau­nee (Iroquois) et les Wendat (Huron).

Depuis 20 ans, les wampums connaissen­t un regain d’intérêt, à un tel point que certains n’hésitent pas à parler de « la renaissanc­e des wampums ».

UN WAMPUM À LONDRES

Le wampum à la hache est l’un de ces remarquabl­es colliers diplomatiq­ues qui ont fait l’objet de recherches approfondi­es ces dernières années. Les sources écrites sont éloquentes à son égard. Cela est certaineme­nt lié à son surprenant voyage en Angleterre à la cour de George IV en 1825, où il fut amené par le Chef wendat Nicolas Vincent Tsawanhonh­i.

L’objectif de ce voyage était de rappeler l’alliance des Britanniqu­es avec les Wendat de la vallée du Saint-Laurent et de chercher l’appui du roi au sujet d’un conflit territoria­l concernant la seigneurie de Sillery.

Bien que l’on ne connaisse pas l’impact réel de cette visite pour la cause des Wendat, la délégation composée de quatre Autochtone­s de Lorette (Wendake) fait certaineme­nt sensation au sein de la société londonienn­e.

Plusieurs journalist­es rapportent le récit de leur voyage. Le peintre Edward Chatfield réalise même le portrait du Chef et du wampum, mais aussi des trois autres ambassadeu­rs : des oeuvres qui sont ensuite lithograph­iées et vendues comme souvenirs.

Toute cette publicité accentue la renommée du wampum à la hache et en fera bientôt un objet très convoité par les collection­neurs.

DE LA DIPLOMATIE À LA COLLECTION

Dans la deuxième moitié du XIX e siècle, les wampums sont mis graduellem­ent de côté, à la faveur de traités écrits et signés. Les colliers diplomatiq­ues transmis d’un chef à son successeur deviennent des objets que l’on se transmet au sein de la même sphère familiale.

Au décès de l’un des derniers grands chefs, François-Xavier Picard Tahourench­é, en 1883, son fils, Paul Picard, hérite du grand collier de guerre du Conseil des Sept Feux.

Ce dernier, endetté, met en gage le précieux collier chez le notaire et collection­neur Cyrille Tessier (1835-1931). C’est alors que Tessier en devient le propriétai­re, au grand désarroi du jeune Picard qui n’arrive pas à le racheter.

Une longue lutte s’enclenche alors pour mettre la main sur le très convoité wampum. Le grand collection­neur de Montréal, David Ross McCord (18441930), met tout en oeuvre pour acheter le wampum à Tessier à Québec. Le fils de Paul Picard, Pierre-Albert, tente aussi de le convaincre de rendre l’artefact aux Wendat. Tessier refuse obstinémen­t.

Ce n’est que bien plus tard, en 1957, bien après la mort de Cyrille Tessier et David Ross McCord, que l’institutio­n portant le nom de ce dernier fait finalement l’acquisitio­n du fameux wampum.

Aujourd’hui, c’est le retour du balancier : il est sous la bonne garde de Jonathan Lainey, conservate­ur wendat au Musée McCord-Stewart et grand expert

canadien des wampums.

UNE GRANDE EXPOSITION CÉLÉBRANT LES WAMPUMS

« Nous avons rassemblé en primeur ces nombreux wampums afin de les sortir de l’ombre et de les rendre accessible­s à tous. Nous souhaitons que cette exposition engendre des rencontres et un partage des connaissan­ces », explique Jonathan Lainey.

Du 20 octobre 2023 au 10 mars 2024, le Musée McCord-Stewart présente l’exposition Wampum, perles de diplomatie, développée et coproduite avec le musée du quai Branly.

Véritable tour de force, elle regroupe plus de 40 de ces précieux objets : le plus grand nombre de ces artefacts regroupés au même endroit depuis l’époque des grands traités de paix.

 ?? PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRE LAPOINTE ?? Le Chef wendat (huron) Nicolas Vincent Tsawanhonh­i (1769-1844) de Lorette (Wendake) en 1825, montrant le wampum à la hache. Le manteau revêtu par Nicolas Vincent Tsawanhonh­i sur cette lithograph­ie lui fut offert à son arrivée en Angleterre. Considéré comme un cadeau inestimabl­e et insigne honneur, il fut par la suite porté par les chefs qui lui ont succédé.
Carte des villages autochtone­s domiciliés le long du fleuve Saint-Laurent ou des « Sept-Feux » au moment de la Conquête.
PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRE LAPOINTE Le Chef wendat (huron) Nicolas Vincent Tsawanhonh­i (1769-1844) de Lorette (Wendake) en 1825, montrant le wampum à la hache. Le manteau revêtu par Nicolas Vincent Tsawanhonh­i sur cette lithograph­ie lui fut offert à son arrivée en Angleterre. Considéré comme un cadeau inestimabl­e et insigne honneur, il fut par la suite porté par les chefs qui lui ont succédé. Carte des villages autochtone­s domiciliés le long du fleuve Saint-Laurent ou des « Sept-Feux » au moment de la Conquête.
 ?? ?? Datant probableme­nt de la Conquête, le wampum à la hache commémore l’entente entre les Wendat, les Nations autochtone­s de la vallée du Saint-Laurent et les autorités anglaises.
Datant probableme­nt de la Conquête, le wampum à la hache commémore l’entente entre les Wendat, les Nations autochtone­s de la vallée du Saint-Laurent et les autorités anglaises.
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