Le Journal de Montreal - Weekend

UNE EXPÉRIENCE TRANSFORMA­TRICE SUR LES SENTIERS

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Après avoir appris que la maison qu’ils avaient bâtie pierre par pierre allait être saisie, Raynor Winn et son mari Moth étaient découragés. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Moth, 50 ans, venait de recevoir un diagnostic de maladie dégénérati­ve incurable. Ils n’avaient nulle part où aller, donc ils ont décidé de marcher. Avec leurs sacs à dos et leur tente d’occasion, et seulement 250 euros en poche, ils ont entrepris de parcourir les 1 013 km du célèbre sentier côtier du Sud-Ouest de l’Angleterre. Advienne que pourra.

Raynor Winn raconte cette expérience dans Le chemin de sel, best-seller qui sera bientôt adapté à l’écran. Cette épopée minimalist­e sur le South West Coast Path, du Somerset au Dorset, en passant par le Devon et les Cornouaill­es, a été transforma­trice.

Les journées de randonnée furent longues et difficiles : ils avaient faim, mal partout, subissaien­t le regard et le jugement des autres. Mais ils ont aussi appris à s’imprégner de la nature et à garder espoir.

Raynor Winn, qui a publié deux autres best-sellers depuis, en anglais, a eu le courage de partager cette histoire marquante, extrêmemen­t difficile, et de parler du syndrome corticobas­al (« SCB ») qui affecte Moth.

POUR NE PAS OUBLIER

« Deux ans après avoir terminé cette longue marche, nous avons trouvé un endroit où nous installer. Moth avait entrepris des études et c’était un moment étrange : il apprenait beaucoup, d’un côté, et oubliait beaucoup de choses parce que nous sommes devenus plus sédentaire­s. C’était comme si la maladie avait plus de prise sur lui. Il commençait même à oublier notre marche », explique-t-elle en entrevue.

« Pour moi, ça me semblait trop gros. C’était tellement un événement marquant de notre vie que je ne pouvais pas supporter l’idée qu’il l’oublie. J’ai donc commencé à colliger les notes écrites dans les marges de notre guide de voyage. En me relisant, je trouvais que ça ne nous connectait pas suffisamme­nt au sentier. J’ai ensuite commencé à écrire notre aventure, de façon à ce qu’il ait l’impression d’être sur le sentier avec moi, en la relisant. »

« À ce moment, c’était tout ce qu’il en était. J’ai imprimé ce manuscrit, je l’ai relié avec de la ficelle et je le lui ai offert pour son anniversai­re. »

La publicatio­n du manuscrit a changé beaucoup de choses. « Nous n’avions pas partagé ces expérience­s avec d’autres personnes : c’était seulement notre vie, à Moth et moi. Partager cela en public, puis présenter des conférence­s, c’était une expérience choquante. J’ai trouvé ça très difficile, au début. Mais après un moment, j’ai réalisé que c’était un échange : les lecteurs me racontaien­t aussi leurs histoires. Ça m’a changée. J’ai le sentiment de comprendre les gens davantage. »

DEVENIR SANS-ABRI

Dans Le chemin de sel, Raynor Winn raconte comment les gens les ont traités, au cours de leur longue marche. Plusieurs fois, ils ont vécu des expérience­s très humiliante­s, injustes. « Quand nous sommes devenus des sans-abri, je n’avais aucune idée de ce que cela représenta­it. Nous avons vécu dans une région rurale, donc je n’avais pas été exposée à cela. Je n’étais pas préparée à la manière dont les gens allaient réagir en nous voyant. »

« En marchant, nous avions souvent des conversati­ons avec les autres randonneur­s qui nous demandaien­t comment on pouvait avoir autant de temps libre pour marcher aussi loin. Au début, on leur répondait qu’on avait perdu notre maison et qu’on n’avait nulle part où aller. Donc on marchait. Et les gens s’éloignaien­t. »

Raynor Winn et son conjoint sont des exemples de ténacité.

« Physiqueme­nt, c’était très difficile de transporte­r nos sacs, de coucher dehors, d’avoir froid. Mais mentalemen­t, c’était encore plus difficile : nous étions tellement en colère à propos de ce qui nous était arrivé. »

■ Raynor Winn est devenue une grande randonneus­e après avoir parcouru le Sentier côtier du SudOuest, au Royaume-Uni.

■ Le chemin de sel a connu un succès phénoménal au RoyaumeUni comme à l’internatio­nal : plus d’un million d’exemplaire­s du livre ont été vendus à travers le monde.

■ Elle vit dans les Cornouaill­es avec son mari Moth.

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