Le Journal de Montreal - Weekend
UN RETOUR INESPÉRÉMENT RÉUSSI
Alors là, le retour de Daniel Racine (alias Dan May/Drac Berthiaume), plus personne n’osait même l’espérer. Figure incontournable du Printemps de la bande dessinée québécoise au coeur de la décennie 70, l’illustrateur surdoué multipliant les collaborations – notamment dans Mainmise, Le Capitaine Kébec, L’Illustré no 8, La barre du jour en plus de participer à la fondation de l’élégant magazine couleur L’Écran – était promis à un grand avenir. Puis, suite à la malencontreuse débâcle de L’Écran , il disparaît subitement des écrans radars, sans mauvais jeu de mots.
« Il n’était pas vraiment possible de vivre à cette époque de la bande dessinée. Je me suis éloigné de cet univers pour m’aventurer vers une variété d’expériences fascinantes ! Cinéma d’animation, édition pour la DGEC (Direction générale de l’enseignement collégial et supérieur), gestion d’un centre commercial, prestidigitation, direction d’internat, conception informatique, etc. J’ai même vendu un concept de magie à David Copperfield, faut le faire pour un petit rural ! » raconte le sympathique et non moins verbomoteur artiste. « 1998 fut l’année où le burnout frappa durement !
Vingt ans d’immobilité. Je reprends vie en 2008 et je réapprends à dessiner dix ans plus tard ».
(RE)NAISSANCE
Question de marquer le coup, l’auteur publie non pas un, mais bien trois albums. Les différents opus racontent un seul et même récit par le truchement de différentes perspectives.
« Selon moi, on ne peut jamais voir une situation avec un seul point de vue. William Faulkner l’a très bien démontré dans son roman Pendant que j’agonise », indique Daniel Racine.
Il campe donc son récit dans la région des Cantons-de-l’Est des années 1850 à 1900. Dans L’opus 1 – Le Conte ,une corneille narre un événement s’étant réellement produit : des cheminots ont tiré plusieurs wagons sur des kilomètres à la sueur de leur front jusqu’à la gare afin d’être rémunérés après plusieurs mois de labeur. Deux jeunes frères, Théo et Léo, en seront à jamais marqués. L’opus 2 – Le huis clos s’intéresse quant à lui à Léo, devenu prêtre suite aux événements. C’est à la fille de son défunt frère qu’il se confesse, avant de changer de vie. Enfin L’opus
3 – Les Cartouches (uniquement disponible via le moellegraphique. com) propose des illustrations et textes s’intéressant à différentes figures historiques de l’époque. L’enchevêtrement des trois opus, aux tonalités et approches graphiques fort différentes, densifie l’expérience de lecture. Pourquoi ne pas être revenu au format classique de la bande dessinée ? « La BD n’est en fait qu’une série d’illustrations régie par une convention narrative. Une illustration reste une illustration et à mes yeux (vieillissant) il n’est plus nécessaire de rester prisonnier des conventions (nombre de bandes et de cases par bande, etc.) que ce soit celles de la BD ou d’autres. J’ai cherché à faire de l’illustration un complément narratif, une interprétation libre où l’imagination du lecteur pouvait se libérer. » L’artiste livre une passionnante fresque historique nous allant droit au coeur, graciant nos pupilles de délectables illustrations. Il n’a rien perdu de sa superbe ce Daniel Racine/Drac Berthiaume.