Le Journal de Montreal - Weekend
NOTRE DÉFAITE COMME SI NOUS Y ÉTIONS
Ingénieur de formation, Michel Chartier de Lotbinière a été, pendant ses 75 années de vie, soldat, explorateur, astronome, cantinier, duelliste, châtelain et même espion. C’est pourtant un personnage méconnu de notre jeune histoire nationale.
Ce ne sont cependant pas les tentatives de le faire mieux connaître qui ont manqué. On lui doit la construction du fort de Carillon, au sud du lac Champlain, aujourd’hui Ticonderoga, « dont l’emplacement et la conception auront des impacts à la fois tactiques et stratégiques sur le déroulement des deux principaux conflits américains du siècle ». À tel point que le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau y a fait installer une plaque de bronze, en 1932, pour souligner son oeuvre.
Pourtant, on lui doit le récit détaillé du siège de Québec. C’est un des rares contemporains canadiens à s’être intéressé à l’art de la guerre, « que ce soit pour les opérations de la Conquête, sur lesquelles il revient jusqu’à la fin de sa vie, ou pour celles de la Révolution américaine, qu’il commente assidûment ». Cela peut se comprendre, car il est entré dans la marine du Canada très jeune, soit à l’âge de 13 ans. « Cet homme polarisant aux allégeances successives, tiraillé entre ses intérêts matériels, ses ambitions politiques du moment et sa nostalgie du Canada », jouera plus tard un rôle de conseiller dans plusieurs antichambres du pouvoir, de George Washington à Louis XVI.
Le portrait que dresse l’historien Dave Noël de Lotbinière n’est pas des plus flatteurs.
On découvre un homme ambitieux, un carriériste calculateur, assoiffé de pouvoir et vantard. Le militaire de carrière et ingénieur ne fait pas l’unanimité autour de lui. Parallèlement à sa carrière, il gère une entreprise très lucrative en vendant bière et alcool aux ouvriers du fort en construction. Sa cantine, très rentable puisqu’elle est la seule, fait jaser parmi ses collègues militaires et suscite le mépris. Le général Montcalm n’écoute guère ses conseils sur les stratégies à adopter pour défendre le territoire, et n’eût été la protection de Vaudreuil, le gouverneur de Montréal, Lotbinière n’aurait pas pu accéder à des fonctions officielles.
L’ART DE LA GUERRE
L’ouvrage de Noël est intéressant à plus d’un titre.
On y apprend que faire la guerre, se défendre contre l’ennemi qui tente d’envahir notre territoire, prendre les devants et l’attaquer avant qu’il ne prenne l’offensive est tout un art qui est confié, du moins à cette époque, à des ingénieurs de terrain. Ce sont eux qui prévoient la construction de forts, de redoutes et de fortifications diverses, l’installation de batteries de canons de différentes portées à des endroits stratégiques, le creusage de tranchées pour freiner la marche de l’ennemi, etc.
On suit de jour en jour les préparatifs de la défense de la ville de Québec, qui est dans la ligne de mire des troupes britanniques. Celles-ci, par terre et par mer, s’apprêtent à assiéger Québec. Sous-utilisé comme ingénieur en raison de rivalités et de conflits de personnalités, Lotbinière se voit finalement confier, par son ami Vaudreuil, la construction « de ponts flottants sur les rivières Etchemin et Chaudière pour faciliter le passage des réfugiés de la côte du Sud en amont », alors qu’une soixantaine de navires britanniques remontent déjà le fleuve.
Finalement, les troupes de Wolfe réussiront à prendre pied sur la côte de Beaupré jusqu’au sommet de la chute Montmorency et pourront bombarder la ville de Québec sur laquelle tomberont 20 000 boulets et bombes. Puis, au petit matin, l’ennemi surgira par l’anse au Foulon en très grand nombre, surprenant l’armée française sur les plaines d’Abraham.
Québec capitulera et l’ennemi britannique se livrera au pillage de la ville. Un an plus tard, le 8 septembre 1760, Montréal capitulera à son tour.
Quant à Lotbinière, il poursuivra ses intrigues entre Paris, Versailles et Boston. Une histoire connue, celle de notre défaite, mais racontée de façon vivante et sous un angle nouveau.