Le Journal de Montreal - Weekend
UNE ENFANCE AVEC DES PARENTS SOURDS
Dans son premier roman, Pascale Beauregard aborde une réalité méconnue et peu représentée en littérature : celle des personnes sourdes. Elle raconte dans Muette le quotidien plutôt chaotique de Catherine qui, à la différence de son père et de sa mère, est dotée de l’ouïe et de la parole. Très jeune, elle devient leur interprète, leur lien avec le monde. Elle devra faire sa place, aux côtés d’une mère qui ne parle pas et d’une grand-mère qui parle trop.
En entrevue, Pascale Beauregard parle de sa propre expérience, qui a nourri une écriture belle, sensible, vivante. Avec les mots qu’il faut, elle parle d’un sujet très terre-àterre, d’une manière très poétique.
« Je ne parle pas pour les personnes sourdes parce que je suis une personne entendante. Mais mes parents sont sourds. J’ai déjà été interprète en langue des signes », explique-t-elle en précisant qu’il y a un lexique que les personnes sourdes aiment qu’on utilise. « Avant, on disait les “sourds-muets”, mais aujourd’hui, on dit les sourds, ou les personnes sourdes.
« La mère de Catherine, on disait qu’elle était sourde-muette. Mais on sait maintenant que les personnes sourdes ne sont pas muettes, parce qu’elles ont l’organe de la parole. Elles peuvent parler. La langue des signes, c’est une langue à part entière qui est devenue officielle au fédéral : la langue des signes québécoise. »
Dans le roman, Catherine est née de parents sourds.
« Ça part de mon histoire personnelle. Quand j’étais petite, je demandais à ma mère de me raconter des épisodes de son enfance et de son histoire familiale. Elle était la seule personne à parler la langue des signes dans sa famille. Quand sa mère lui parlait, elle n’arrivait pas à comprendre ce qu’elle lui disait.
« Il y a plein de trous, plein de malentendus, de ruptures, de faussetés. Quand elle me racontait des souvenirs, ça ne tenait pas debout. C’est là que j’ai voulu essayer de remonter le fil tordu de l’histoire familiale. C’est pour ça que la fiction est arrivée : il y a tellement de nondits et de silences. »
S’APPROPRIER UNE LANGUE
Pascale Beauregard fait remarquer que les problèmes de communication, les silences, les secrets sont présents dans beaucoup de familles.
« J’ai dû inventer pour combler ces trous-là parce qu’il y avait trop de manques. »
L’exercice a été difficile au début, puis de plus en plus plaisant, assure-t-elle.
« Au départ, cette écriture était très proche de moi, tellement que c’est en faisant une thérapie pendant trois ans que le trop-plein sortait.
« Au fil du temps, j’ai commencé à me distancier et à travailler sur la langue. J’ai compris que plus j’embarquais dans la fiction, dans l’inventé, dans la folie, avec les jeux de mots, la sonorité, la musicalité de la langue, c’était une façon de permettre à la narratrice d’échapper à l’emprise de sa mère sourde, qui ne pouvait pas capter ces niveaux de langue. C’est comme si je m’étais approprié une langue, ma parole. »