Le Journal de Montreal - Weekend

BIEN RÉAGIR À LA PEINE DE L’AUTRE

- Dre CHRISTINE GROU Psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es du Québec

Au cours des derniers mois, des gens dans mon entourage ont vécu de véritables tragédies. Certains ont été confrontés à la mort accidentel­le et brutale d’un être cher. D’autres ont appris, du jour au lendemain, être atteints d’une maladie irréversib­le et incurable. Comment réagir lorsque le sol semble se dérober sous les pieds de nos proches, et comment épauler ceux qui traversent des épreuves qui nous semblent aussi injustes qu’inexplicab­les ?

Sans que la trajectoir­e soit exactement la même pour chacun de nous, certaines réactions se recoupent à partir du moment où l’on reçoit, tel un coup de masse en plein front, une nouvelle accablante. Devant des drames auxquels sont confrontés les gens qui nous entourent, notre compassion et notre empathie sont sollicitée­s : nous nous identifion­s à leur détresse, et nous peinons à nous imaginer comment nous ferions pour survivre face à des événements aussi éprouvants.

Quant à la personne ayant subitement perdu un proche ou ayant appris être atteinte d’une grave maladie, elle peut être tellement « sonnée » par la nouvelle qu’elle ne parvient plus à trouver les mots afin d’exprimer ce qu’elle pense ou ce qu’elle ressent. Bien souvent, c’est purement et simplement l’état de choc, parfois si grand que certains disent avoir l’impression de se retrouver dans un état second. Leur cerveau semble désormais dissocié du reste de leur corps, mais attention : ils ne sont pas insensible­s, ils se retrouvent plutôt temporaire­ment « déconnecté­s » de leurs émotions, ce qui est un facteur de protection. Ainsi, pendant un certain temps, certaines personnes se sentent incapables de verser une seule larme.

Au milieu de ce tsunami d’émotions, d’autres accompliro­nt des tâches les unes après les autres et sans relâche, disant fonctionne­r sur le « pilote automatiqu­e ». Certains vivront plutôt dans le déni, se disant : « ça ne peut pas vraiment m’arriver, je vais bientôt me réveiller de ce cauchemar ».

ENTRE TRISTESSE, COLÈRE ET CULPABILIT­É

Si certains sont submergés par la tristesse lorsqu’ils vivent un événement dramatique, d’autres ressentent une immense colère et voudront à tout prix trouver un coupable : les chauffards, les charlatans, les fabricants de cigarettes, le système de santé, des parents qui leur ont transmis de « mauvais gènes », etc.

À l’inverse, certains seront rongés par la culpabilit­é et le regret. Pourquoi ne pas avoir cessé de fumer avant qu’il ne soit trop tard ? Pourquoi avoir conduit aussi vite ? Pourquoi avoir tant tardé à changer ses habitudes de vie ? Pourquoi s’être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment ? Certains vont même jusqu’à dire qu’ils méritent ce dont ils sont affligés. D’autres préfèrent s’éloigner de leur entourage, alors que dans de pareilles circonstan­ces, nos proches peuvent être d’une aide plus que significat­ive…

QUAND UN DRAME ENGENDRE UNE SUCCESSION DE DEUILS

Bien souvent, recevoir le diagnostic d’une maladie grave ou apprendre le décès soudain d’un conjoint ou d’un enfant oblige à une réorganisa­tion totale ou presque du quotidien. Une succession de deuils peut alors venir s’ajouter à une épreuve déjà très souffrante : la perte d’une présence si réconforta­nte, la fin d’une vie active ou de voyages enivrants, les fêtes de famille qui n’existeront plus que dans nos souvenirs, tout ce que nous ne pourrons plus nous dire, tout ce que nous ne pourrons plus faire ensemble…

Quant à la personne qui apprend être atteinte d’une maladie affectant ses capacités physiques ou son niveau d’énergie, elle devra peut-être ralentir la cadence au travail et limiter ses activités sociales. Il ne faut alors pas tout abandonner, mais plutôt choisir ses priorités, ses combats, et les personnes dont on veut s’entourer.

FACE À L’ADVERSITÉ, UNE PRÉSENCE

Au milieu de ce tumulte, le besoin se fait parfois sentir de se retirer. Mais devant l’adversité et pour éviter de sombrer davantage, mieux vaut s’entourer des gens qui nous sont chers.

Or, beaucoup se disent mal à l’aise face à une personne traversant une épreuve difficile. « Je ne saurai pas quoi lui dire » est une phrase que l’on entend souvent, mais est-ce vraiment nécessaire de dire quelque chose ? Offrir sa présence, une oreille attentive, libérer la personne de certaines tâches ou encore lui apporter quelques douceurs, voilà autant de façons de lui apporter un peu de lumière.

ÊTRE PRÉSENT, C’EST TOUT

J’ai tellement souvent observé des personnes ressentir un sentiment d’échec lorsqu’ils ne parviennen­t pas à soulager l’affliction d’un proche. Or, il n’existe pas de phrases ou de formules magiques permettant d’apaiser, du jour au lendemain, la douleur d’une personne vivant un événement dramatique. À défaut d’être munis du pouvoir d’éliminer toute la peine que l’autre ressent, nous avons celui de faire en sorte que l’autre ne soit plus seul avec sa souffrance… Et c’est là un pouvoir des plus précieux.

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