Le Journal de Montreal - Weekend

40 JOURS EN IRAN

L’usure d’un monde.

- MARIE-FRANCE BORNAIS

À la fin de l’année 2022, au plus fort de la répression contre les manifestat­ions qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, l’écrivain français François-Henri Désérable a passé 40 jours en Iran. Il a traversé le pays d’un bout à l’autre, de Téhéran aux confins du Baloutchis­tan, avant d’être arrêté et détenu par les Gardiens de la révolution, puis sommé de quitter le pays. Il raconte son périple exaltant dans un récit à lire absolument,

« L’écriture du livre m’a permis de prendre la mesure du courage inouï de la jeunesse iranienne et de me rendre compte combien mes provisions de courage à moi étaient finalement assez limitées », dit-il en entrevue téléphoniq­ue de New York, où il était récemment de passage.

« Il y a une phrase de Keyserling qui dit que le plus court chemin qui mène à soimême passe autour du monde. C’est vrai qu’en voyageant, on en apprend beaucoup sur soi-même et je crois en avoir appris pas mal sur moi-même en allant à la rencontre de cette jeunesse iranienne. »

LA CONDITION DES FEMMES

La condition féminine en Iran l’a marqué. Il décrit dans le récit ses rencontres avec de jeunes gens et de jeunes femmes. L’une d’entre elles lui a fait une démonstrat­ion de ce qu’est l’écho à Téhéran en criant « Mort au dictateur ! »… un cri de ralliement repris par plusieurs personnes autour d’elle. Un geste audacieux… et très dangereux.

« Je crois qu’on a tous été très touchés, après la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, lorsqu’on a vu toutes ces jeunes filles descendre dans la rue, retirer leur voile en dépit des risques immenses qu’elles encouraien­t. »

« Jamais il ne me serait venu à l’esprit de traverser l’Iran sans me frotter, en quelque sorte, à cette vague de soulèvemen­t et à tout cet aspect politique, contrairem­ent à Nicolas Bouvier. Lorsqu’il traverse l’Iran en 1954, il se tient assez éloigné de la situation politique et de ce qui se passe alors en Iran. »

François-Henri Désérable a vraiment eu le sentiment que le peuple iranien est prêt pour un changement.

« Ça a déjà éclaté. Jamais dans l’histoire de la République islamique, depuis 1979, il n’y avait eu des manifestat­ions aussi fortes, aussi largement suivies, aussi largement soutenues. »

« Plus de 80 % de la population iranienne appelle de ses voeux la fin de ce régime. Les Iraniens ne veulent pas que le régime soit réformé : ils souhaitent simplement qu’il tombe. »

« Le problème, c’est qu’il y a une très grande asymétrie entre, d’un côté, un régime qui a des fusils mitrailleu­rs, la torture, des pendaisons à l’aube, des condamnati­ons à mort – donc un régime autocratiq­ue qui triomphe par la mort et par la peur des mises à mort – et de l’autre, un peuple qui n’a que ses pieds et sa voix pour protester. »

HOSPITALIT­É LÉGENDAIRE

Comme Occidental, François-Henri Désérable s’est senti très bien accueilli par le peuple iranien.

« J’avais souvent entendu parler de l’hospitalit­é des Iraniens. Je croyais qu’elle était un peu surfaite, surestimée et en arrivant en Iran, je me suis rendu compte que pas du tout. Jamais je n’ai rencontré un peuple aussi ouvert, aussi curieux et aussi hospitalie­r. En tant qu’Occidental, je me suis senti accueilli à bras ouverts, avec une très grande curiosité et une très grande délicatess­e. »

C’est une des raisons qui l’ont poussé à écrire L’usure d’un monde. « Lorsque je pars en Iran, je n’y vais pas avec l’intention d’en tirer un récit de voyage. [Mais] au bout de deux semaines sur place, j’avais tant d’histoires à raconter, tant de portraits à brosser, tant de paysages à dessiner qu’a commencé à s’ébaucher dans mon esprit l’idée de tirer de ce voyage, un récit. »

■ François-Henri Désérable a publié plusieurs ouvrages primés.

■ Il a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2021 pour Mon maître et son vainqueur.

■ Il a également fait carrière comme joueur de hockey profession­nel et il est un fan du CH.

■ Son arrière-grand-père venait de Chicoutimi.

■ Il était de passage à Montréal et Québec pour une tournée de promotion et il a participé au festival littéraire Québec en toutes lettres.

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 ?? ?? L’USURE D’UN MONDE François-Henri Désérable Éditions Gallimard environ 160 pages
L’USURE D’UN MONDE François-Henri Désérable Éditions Gallimard environ 160 pages

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